LETTRE CXLIV.

AU PRÉSIDENT HÉNAULT.

Je voudrais bien, monsieur mon illustre confrère, donner trois ou quatre livres de l’Esprit des Lois pour savoir écrire une lettre comme la vôtre ; et pour vos sentiments d’estime, je vous en rends bien d’admiration. Vous donnez la vie à mon âme, qui est languissante et morte, et qui ne sait plus que se reposer. Avoir pu vous amuser à Compiègne, c’est pour moi la vraie gloire. Mon cher président, permettez-moi de vous aimer, permettez-moi de me souvenir des charmes de votre société, comme on se souvient des lieux que l’on a vus dans sa jeunesse, et dont on dit : « J’étais heureux alors ! » Vous faites des lectures sérieuses à la cour, et la cour ne perd rien de vos agréments ; et moi, qui n’ai rien à faire, je ne puis me résoudre à faire quelque chose. J’ai toujours senti cela : moins on travaille, moins on a de force pour travailler. Vous êtes dans le pays des changements ; ici, autour de nous, tout est immobile. La marine, les affaires étrangères, les finances, tout nous semble la même chose : il est vrai que nous n’avons point une grande finesse dans le tact. J’apprends que nous avons eu à Bordeaux plusieurs conseillers au parlement de Paris, qui, depuis le rappel, sont venus admirer les beautés de notre ville, outre qu’une ville où l’on n’est point exilé est plus belle qu’une autre. Mon cher président, je vous aimerai toute ma vie.

De la Brède, le 11 août 1754.

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