LETTRE CXLVI.

A L’ABBÉ COMTE DE GUASCO.

Mon cher Abbé, vous devez avoir reçu la lettre que je vous ai écrite à Naples, et celle que j’adressai depuis à Rome. Je ne sais plus en quel endroit de la terre vous êtes ; mais comme une de vos lettres du 13 août 1754 est datée de Bologne et m’annonce votre prochain retour à Paris, j’adresse celle-ci à Turin, chez votre ami le marquis de Barol.

Je commence par vous remercier de votre souvenir pour le vin de Roche-Maurin, vous assurant que je ferai, avec la plus grande attention, la commission de mylord Pembroke : c’est à mes amis, et surtout à vous, qui en valez dix autres, que je dois la réputation où s’est mis mon vin dans l’Europe, depuis trois ou quatre ans : à l’égard de l’argent, c’est une chose dont je ne suis jamais pressé, Dieu merci. Vous ne me dites point si mylord Pembroke, qui vous parle de mon vin, se souvient de ma personne. Je l’ai quitté, il y a deux ans, plein d’estime et d’admiration pour ses belles qualités : vous ne me parlez point de M. de Cloire, qui était avec lui, et qui est un homme de très-grand mérite, très-éclairé, et que je voudrais fort revoir. Je voudrais bien que vos affaires vous permissent de passer de Turin à Bordeaux. Vous qui voyez tout, pourquoi ne voudriez-vous point voir vos amis et la Brède, toute prête à vous recevoir avec des Io ? Mais peut-être vous verrai-je à Paris, où vous ne devez point chercher d’autre logement que chez moi, d’autant plus que la dame Boyer, votre ancienne hôtesse, n’est plus : dès que je vous saurai arrivé, je hâterai mon départ.

Ce que vous a dit le pape de la lettre 1 de Louis XIV à Clément XI est une anecdote assez curieuse. Le confesseur n’eut pas sans doute plus de difficulté d’engager le roi à promettre qu’il ferait rétracter les quatre propositions du clergé, qu’il en eut à faire promettre que sa bulle serait reçue sans contradiction ; mais les rois ne peuvent pas tenir tout ce qu’ils promettent, parce qu’ils promettent quelquefois sur la foi de ceux qui les conseillent suivant leurs intérêts. Adieu, mon cher comte ; je vous salue et embrasse mille fois.

De la Brède, ce 3 novembre 1754.

1 Sa Sainteté lui avait dit avoir entre ses mains une lettre par laquelle ce monarque promettait à Clément XI de faire rétracter son clergé de la délibération, touchant les quatre propositions du clergé de France de 1682 ; que cette lettre lui avait tenu si fort à cœur que, pour la tirer des mains du cardinal Annibal Albani camerlingue, qui faisait difficulté de la livrer, il avait été obligé de lui accorder, non sans quelque scrupule, disait-il, certaines dispenses que ce cardinal exigeait. (GUASCO.)

Le cardinal de Polignac a conté à quelqu’un une anecdote qui a rapport à ceci, et qui est digne d’être rapportée :

Le P. le Tellier alla un jour le trouver, et lui dit que le roi étant déterminé de faire soutenir, dans toute la France, l’infaillibilité il priait Son Éminence d’y donner la main : à quoi le cardinal répondit : « Mon père, si vous entreprenez une pareille chose, vous ferez mourir le roi bientôt. » Ce qui fit suspendre les démarches et les intrigues du confesseur à ce sujet. (Édition de Florence-Paris 1707.)

La lettre de Louis XIV au pape a été publiée par Daunou, dans l’Essai historique sur la puissance temporelle des Papes, t. II, p. 194. Louis XIV reconnaissait que la question de l’infaillibilité était une question libre, et promettait de laisser toute liberté sur ce point au clergé français, qui, du reste, tenait en grande majorité, comme les Parlements, pour la supériorité du concile. On peut voir une autre lettre de Louis XIV dans les Opuscules inédits de M. l’abbé Fleury, publiés en 1818 par l’abbé Emery, p. 266.

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