LETTRE LII 1 .

A MAUPERTUIS 2 .

Monsieur mon très-cher et très-illustre confrère,

Vous aurez reçu une lettre de moi, datée de Paris. J’en reçois une de vous datée de Potsdam. Comme vous l’aviez adressée à Bordeaux, elle a resté plus d’un mois en chemin, ce qui m’a privé très longtemps du véritable plaisir que je ressens toujours lorsque je reçois des marques de votre souvenir. Je ne me console point encore de ne vous avoir point trouvé ici ; et mon cœur et mon esprit vous y cherchent toujours. Je ne saurais vous dire avec quel respect, avec quel sentiment de reconnaissance, et, si j’ose le dire, avec quelle joie, j’apprends par votre lettre que l’Académie 3 m’a fait l’honneur de me nommer un de ses membres ; il n’y a que votre amitié qui ait pu lui persuader que je pourrais aspirer à cette place. Cela va me donner de l’émulation pour valoir mieux que je ne vaux ; et il y a longtemps que vous auriez vu mon ambition, si je n’avais craint de tourmenter votre amitié, en la faisant paraitre.

Il faut à présent que vous acheviez votre ouvrage, et que vous me marquiez ce que je dois faire en cette occasion, à qui et comment il faut que j’aie l’honneur d’écrire, et comment il faut que je fasse mes remerciements. Conduisez-moi, et je serai bien conduit. Si vous pouvez dans quelques conversations parler au roi 4 de ma reconnaissance et que cela soit à propos, je vous prie de le faire. Je ne puis offrir à ce grand prince que de l’admiration, et en cela même je n’ai rien qui puisse presque me distinguer des autres hommes.

Je suis bien fâché de voir par votre lettre que vous n’êtes pas encore consolé de la mort de monsieur votre père 5 j’en suis vivement touché moi-même ; c’est une raison du moins pour nous pour espérer de vous revoir.

Pour moi, je ne sais si c’est une chose que je dois à mon être physique ou à mon être moral, mais mon âme se prend à tout. Je me trouvais heureux dans mes terres, où je ne voyais que des arbres ; et je me trouve heureux à Paris, au milieu de ce nombre d’hommes qui égalent les sables de la mer ; je ne demande autre chose à la terre que de continuer à tourner sur son centre ; je ne voudrais pourtant pas faire avec elle d’aussi petits cercles que ceux que vous faisiez quand vous étiez à Tornéo.

Adieu, mon cher et illustre ami, je vous embrasse un million de fois.

Paris, 25 novembre 1746.

1 Cette lettre est tirée de l’Eloge de Montesquieu, publié par Maupertuis. Cet éloge est imprimé en tête de notre premier volume.

2 Pierre-Louis Moreau de Maupertuis, de l’Académie française et de l’Académie de Berlin, né à Saint-Malo en 1698, mort à Baie en 1759.

3 L’Académie de Berlin, dont Maupertuis était président.

4 Frédéric II.

5 Étienne-René Moreau de Maupertuis, député du commerce de Saint-Malo, mort à Paris en 1745. (RAVENEL.)

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