LETTRE LXIX

AU CHEVALIER D’AYDIES.

Je 1 suis bien charmé de la conversation que vous avez eue ; je ne crains jamais rien là où vous êtes. M. de Fontenelle a toujours eu cette qualité bien excellente pour un homme tel que lui : il loue les autres sans peine 2 ...

Donc, si j’avais fait l’Esprit des Lois, j’aurais acquis l’estime de mon cher chevalier ; il m’en aimerait davantage : pourquoi donc ne pas faire l’Esprit des Lois ? J’ai toute ma vie désiré de lui plaire ; c’est pour cela que je lui ai donné une permission générale de faire les honneurs de mon imbécillité. Je vois que l’auteur de cet ouvrage doit prendre son parti, et consentir à perdre l’estime de M. d’Aube 3 . Votre lettre, mon cher chevalier, est une lettre charmante ; je croyais, en la lisant, vous entendre parler.

Je suis bien aise que Madame de Mirepoix aille en Angleterre ; elle y sera adorée ; et, j’en suis bien sûr, elle peut plaire même à ceux qui ne se soucient pas qu’on leur plaise 4 . Je vous avertis que lorsque le duc de Richemont sera à Paris, vous devrez être de ses amis ; il a tant de bonnes qualités, qu’il est nécessaire que vous l’aimiez, et je vous dis la raison qui fait qu’il est nécessaire qu’on vous aime.

Adieu, mon cher chevalier ; je vous aimerai et vous respecterai jusqu’à la fin de mes jours.

Bordeaux, ce 27 janvier 1749.

1 Dans les Œuvres posthumes de Montesquieu, tout ce paragraphe fait partie de la lettre précédente, datée de La Brède, en 1718.

2 Cet éloge de Fontenelle justifie une autre appréciation publiée dans les Pensées diverses et qui a scandalisé Sainte-Beuve : « Fontenelle autant au-dessus des autres hommes par son cœur qu’au-dessus des hommes de lettres par son esprit. »

3 Sur M. d’Aube, voyez notre Introduction à l’Esprit des Lois, tome III, page xxvi.

4 C’est-à-dire les Anglais.

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