LETTRE LXVIII.

AU CHEVALIER D’AYDIES 1 .

Dites-moi, mon cher chevalier, si vous voulez aller mardi à Lisle-Belle, et si vous voulez que nous y allions ensemble ; si cela est, je serai enchanté du séjour et du chemin.

Vous êtes adorable, mon cher chevalier ; votre amitié est précieuse comme l’or ; je vais m’arranger pour profiter de votre avis, et être à Paris avant le départ de cet homme qui distribue la lumière. Mais, mon Dieu, vous serez à Plombières, et je serai bien malheureux de jouer aux barres ! Vous ne me mandez point la raison qui vous détermine ; je m’imagine que c’est votre asthme, et, j’espère que cela n’est que précaution, et que vous n’en êtes pas plus fatigué qu’à l’ordinaire. Je ne compte pas trouver non plus Madame de Mirepoix à Paris ; on me dit qu’elle est sur son départ.

Mon cher chevalier, je vous prie d’avoir de l’amitié pour moi ; je vous la demande comme si je ne pouvais pas me vanter que vous me l’avez accordée, et, quant à la mienne, il me semble que je vous la donne à chaque instant. Je quitte ce pays-ci sans dégoût, mais aussi sans regret. Je vous prie de vous souvenir de moi, et d’agréer les sentiments du monde les plus respectueux et les plus tendres.

Bordeaux, ce 11 janvier 1740.

1 Le chevalier d’Aydies est connu surtout par sa passion pour Mlle Aissé. Il était de la société de Mme Du Deffand, qui a fait son portrait. La correspondance inédite du chevalier a été publiée en 1874, par M. Bonhomme, chez Didot.

Les lettres de Montesquieu au chevalier ont été publiées dans les Œuvres posthumes. Paris, 1796, avec la note suivante : « Les originaux des lettres de Montesquieu au chevalier d’Aydies sont dans les mains du citoyen Talleyrand-Périgord, ci-devant commandant en chef du Languedoc, ami de Montesquieu. »

Pougens en a, de son coté, donné une édition, en 1797, avec la note ci-jointe : « Ceux qui connaissent bien Montesquieu et son siècle n’ont pas besoin qu’on leur fournisse aucunes preuves de l’authenticité de ce manuscrit ; elles seraient inutiles pour ceux qui sont étrangers à l’un ou à l’autre.

Chose singulière, et que les précédents éditeurs n’ont pas remarquée, le texte de ces lettres n’est pas le même dans les deux éditions. Il est évident que l’un des deux éditeurs l’a retouché. Nous suivrons le texte de Pougens, qui est plus complet, mais nous donnerons les variantes des Œuvres posthumes.

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