LETTRE LXXI 1 .

AU CHEVALIER D’AYDIES

Je vous prie de parler de moi à M. et Madame de Mirepoix, à M. de Forcalquier, à Mesdames de Rochefort et de Forcalquier, à Madame du Deffand, à M. et Madame du Châtel, à M. de Bermestoff 2  ; sachez, je vous prie, s’ils ont quelque souvenir de moi. N’oubliez pas le président 3 .

Ce que j’ai le plus vu dans votre lettre, mon cher chevalier, c’est votre amitié ; et il me semble qu’en la lisant, je faisais plus d’usage de mon cœur que de mon esprit. Je suis bien rassuré par vous sur le bon succès de l’Esprit des Lois à Paris. On me mande des choses fort agréables d’Italie ; je ne sais rien des autres pays.

Mon cher chevalier, pourquoi les gens d’affaires se croient-ils attaqués 4  ? J’ai dit que les chevaliers, à Rome, qui faisaient beaucoup mieux leurs affaires que vous autres chevaliers ne faites ici les vôtres, avaient perdu cette république ; et je ne l’ai pas dit, mais je l’ai démontré 5 . Pourquoi prennent-ils là-dedans une part que je ne leur donne pas ?

J’aurais grande envie de revenir ; mais je serai encore ici quelques mois, occupé à rétablir une fortune honnête ; il m’en coûte le plaisir de vous voir, et il me faudrait de grands dédommagement. Je n’en sais point, mon cher chevalier, parce qu’il n’y a rien de comparable au bonheur de vivre avec vous.

Bordeaux, ce 21 février 1749.

Parlez, je vous prie, de moi à tous nos amis.

1 Lettres originales de Montesquieu au chevalier d’Aydice. Paris, 1797, chez Ch. Pougens.

2 Sur tous ces personnages qui composaient la société de Mme Du Deffand, on trouvera des détails curieux dans la Correspondance inédite de Madame Du Deffand, Paris, 1818, 2 vol. in-8º.

3 Le président Hénault.

4 Œuvres posthumes, p. 245. « Pourquoi les gens d’affaires se regardent-ils comme attaqués ? »

5 Esprit des Lois, livre XI, chapitre XVIII.

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