LETTRE LXXIV 1 .

A M. HUME.

J’ai reçu, Monsieur, comme une chose très-précieuse la belle lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire au sujet de mon ouvrage 2 . Elle est remplie de réflexions si judicieuses et si sincères, que je ne saurais vous dire à quel point j’en ai été charmé. Ce que vous dites sur la forme dont les jurés prononcent en Angleterre ou en Écosse, m’a surtout fait grand plaisir ; et l’endroit de mon livre où j’ai traité cette matière est peut-être celui qui m’a fait le plus de peine, et où j’ai le plus souvent changé 3 . Ce que j’avais fait, parce que je n’avais trouvé personne qui eût là-dessus des idées aussi nettes que celles que vous avez. Mais c’est assez parler de mon livre que j’ai l’honneur de vous présenter.

J’aime mieux vous parler d’une belle dissertation, où vous donnez une beaucoup plus grande influence aux causes morales qu’aux causes physiques. Et, il m’a paru, autant que je suis capable d’en juger, que ce sujet est traité à fond, quelque difficile qu’il soit à traiter, et écrit de main de maître, et rempli d’idées et de réflexions très neuves.

Nous commençâmes aussi à lire, M. Stuart et moi, un autre ouvrage de vous, où vous maltraitez un peu l’ordre ecclésiastique. Vous croyez bien que M. Stuart et moi n’avons pas pu entièrement vous approuver ; nous nous sommes contentés de vous admirer. Nous ne crûmes pas que ces messieurs furent tels ; mais nous trouvâmes fort bonnes les raisons que vous donnez pour qu’ils dussent être tels.

M. Stuart m’a fait un grand plaisir, en me faisant espérer que je trouverais à Paris une partie de ces beaux ouvrages.

J’ai l’honneur, Monsieur, de vous en remercier, et d’être, avec les sentiments de la plus parfaite estime, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

MONTESQUIEU.

A Bordeaux, ce 19 mai 1749.

1 Tiré des Œuvres complètes de Hume.

2 L’Esprit des Lois.

3 Esprit des Lois, livre VI chapitre III. Montesquieu en a changé le texte dans l’édition de 1758.

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