LETTRE LXXXIII.

A L’ABBÉ COMTE DE GUASCO

A LONDRES.

J’avais déjà appris par milord Albermale 1 , mon cher Comte, que vous ne vous étiez point noyé en traversant de Calais à Douvres, et la bonne réception qu’on vous a faite à Londres. Vous serez toujours plus content de vos liaisons avec le duc de Richemont 2 , milord Chesterfield et milord Grandville. Je suis sûr que, de leur côté, ils chercheront de vous avoir le plus qu’ils pourront. Parlez-leur beaucoup de moi ; mais je n’exige point que vous tostiez si souvent, quand vous dînerez chez le duc de Richemont 3 . Dites à milord Chesterfield que rien ne me flatte tant que son approbation ; mais que, puisqu’il me lit pour la troisième fois, il ne sera que plus en état de me dire ce qu’il y a à corriger et à rectifier dans mon ouvrage. Rien ne m’instruirait mieux que ses observations et sa critique.

Vous devez être bien glorieux d’avoir été lu par le Roi, et qu’il ait approuvé ce que vous avez dit sur l’Angleterre ; moi je ne suis pas sûr de si hauts suffrages, et les rois seront peut-être les derniers qui me liront ; peut-être même ne me liront-ils point du tout. Je sais cependant qu’il en est un dans le monde qui m’a lu 4 , et M. de Maupertuis m’a mandé qu’il avait trouvé des choses où il n’était pas de mon avis. Je lui ai répondu que je parierais bien que je mettrais le doigt sur ces choses. Je vous dirai aussi que le duc de Savoie a commencé une seconde lecture de mon livre. Je suis très-flatté de tout ce que vous me dites de l’approbation des Anglais ; et je me flatte que le traducteur de l’Esprit des Lois 5 me rendra aussi bien que le traducteur des Lettres persanes.

Vous avez bien fait, malgré le conseil de Mlle Pit, de rendre les lettres de recommandation de milord Bath. Vous n’avez que faire d’entrer dans les querelles du parti ; on sait bien qu’un étranger n’en prend aucun, et voit tout le monde. Je ne suis point surpris des amitiés que vous recevez de ceux que vous avez connus à Paris, et suis sûr que plus vous resterez à Londres, plus vous en recevrez ; mais j’espère que les amitiés des Anglais ne vous feront point négliger vos amis de France, à la tête desquels vous savez que je suis. Pour vous faire bien recevoir à votre tour, j’aurai soin de faire voir l’article de votre lettre, où vous dites qu’en Angleterre les hommes sont plus hommes, et les femmes moins femmes qu’ailleurs. Puisque le prince de Galles me fait l’honneur de se souvenir de moi, si l’occasion se présente, je vous prie de me mettre à ses pieds. Je vous embrasse.

De Paris, le 12 mars 1750.

1 Milord Albemarle était alors ambassadeur du roi d’Angleterre à la cour de France.

2 Richmond.

3 On appelle toste, en Angleterre, les santés des personnes absentes, que l’on se porte réciproquement, et que l’on ne peut refuser sans impolitesse. (Note de l’édition de Paris 1767.)

4 Le roi de Prusse, Frédéric II.

5 Thomas Nugent. V. inf. la lettre du 18 octobre 1750, qui lui est adressée.

Share on Twitter Share on Facebook