LETTRE XVI.

AU MÊME.

Comme il m’est revenu, Monsieur, que M. de Licterie, et les gens qu’il souffle, et qu’il a engagés au plantement de bornes dont je me plains, préparent grand nombre de mauvais raisonnements à vous débiter sur les lieux : entre autres qu’il y a une autre lagune, d’un nom approchant de Dubrei, du Beroy, du Brou ; je crois devoir aller au-devant de tout, en vous disant que si l’écriture du dénombrement pouvait faire difficulté, les sept assises 1 que je vous ai produites disent toutes la lagune Dubrei, comme vous verrez par les originaux que M. de Pichard vous produira ; que de plus j’en ai une du 20 septembre 1654, que je vous porterai à mon prochain voyage, ou vous enverrai, qui dit que cette lagune Dubrei est à côté du chemin qui va de Saucats à Lognan, et que les officiers de l’île Saint-Georges ont tenu leurs assises au côté du midi de cette lagune ; ainsi voilà ma lagune Dubrei nommée et placée.

On est malheureux avec des gens qui ne cherchent pas la vérité, qui parlent sans savoir ce qu’ils disent, et agissent sans savoir ce qu’ils font. Je serais bien aise que vos affaires vous permissent de vous transporter bientôt sur les lieux, afin que je sache ce que je dois faire ; car je suis las de griffonner du papier timbré avec un homme qui n’est point ma partie, avec qui je ne puis jamais avancer ni reculer, et qui, sans intérêt, se fait champion de l’Hôtel de Ville contre moi.

Je vous prie de me faire communiquer l’acte d’anoblissement des cent journaux 2 , fait en faveur de M. Licterie l’avocat, aussi bien que le procès-verbal du plantement de bornes, fait par M. Roquette ; il serait bon que je l’eusse, afin que sur les lieux je pusse le débattre.

J’ai l’honneur d’être, Monsieur, avec toute sorte deconsidération et d’attachement, votre très-humble et très-obéissant serviteur.

MONTESQUIEU.

A La Brède, ce 12 février 1732.

1 Assise est synonyme de jugement.

2 Journaux de terre.

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