LETTRE XXXIX.

A MARTIN FFOLKES 

La magnificence et la qualité de vos présents, monsieur et très-cher ami, surpassent tout ce qu’on aurait dû attendre si justice m’avait été faite. Je crois que vous voulez vous défaire de mes importunités pour tout le reste de ma vie, et que c’est au fond d’amortissement que vous m’avez envoyé.

Quoi qu’il en soit de moi, pauvre, chétif et misérable, je m’évertue autant que je puis. Nous buvons souvent à votre santé, M. Cerati et moi. C’est un bon, digne et excellent homme, et je m’estimerais heureux si je pouvais faire avec lui le voyage en Angleterre. Il a quitté la théologie pour la philosophie naturelle  . Un homme que la première science n’a point gâté est par la nature de son esprit très-propre à l’autre.

Ne ferons-nous jamais la paix, et faut-il que les deux plus puissantes nations du monde deviennent tributaires de toutes celles qui ont besoin d’argent, et se rendent plus pauvres qu’elles ? L’esprit de philosophie a gagné l’esprit, mais il a laissé le caractère et les mœurs. Je voudrais bien savoir ce que nous fait l’Allemagne, si on la regarde autrement que comme un objet de commerce. Je vous avouerai que j’ai toujours eu une vraie horreur pour cette guerre-ci, et je n’en trouve pas de plus stupide dans toutes les histoires.

Je vous supplie, Monsieur, de nous permettre de vous aimer, et je crois que je vous aimerais quand même vous n’auriez rien fait pour cela.

Adieu, monsieur, j’ai l’honneur d’être avec le respect et les sentiments du monde les plus tendres, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

MONTESQUIEU.

Paris, ce 21 janvier 1713.

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