Douleurs et larmes

 

récit

 

Un soir du mois de mai 18.., dans une des riches demeures de la rue Saint-Denis, un homme et une femme, tous deux encore jeunes, se tenaient auprès d’un berçeau, dans lequel gisait un petit enfant de deux ans.

La mère pleurait.

Le père pâle, la tête basse, regardait le cher petit être que Dieu lui avait donné et qu’il allait peut-être lui enlever, car, disons-le de suite, l’enfant dans le berceau se débattait dans les transes de l’agonie.

Le père se nommait Arthur Lamontagne.

Au moment où nous le voyons pour la première fois, Arthur peut avoir de 25 à 26 ans. Il occupe une très belle position dans une banque de cette ville, position qui lui permet de vivre largement et de fréquenter la première société montréalaise.

À l’âge de vingt-deux ans, il avait épousé Alice Marcheterre, fille d’un riche marchand d’Ottawa, qui lui apporta en dot plusieurs milliers de piastres.

L’épouse de Lamontagne semblait avoir été douée par Dieu de tous les dons de la nature.

Elle était bonne et belle ; chantait bien, jouait le piano en artiste, en un mot, elle possédait toutes les qualités propres à faire le bonheur de celui qui lui donnait son nom.

Le bonheur devait être le partage de ce jeune couple. Aussi, ceux qui les voyaient, enviaient-ils leur sort.

Un an environ après leur mariage, Dieu mit le comble à leur joie, en leur donnant une enfant, une jolie petite fille.

Il fut décidé que la petite porterait le nom de sa mère ; elle fut donc baptisée sous le nom d’Alice.

Alice grandit caressée et choyée par ses parents.

Tous deux passaient des heures entières auprès du berceau dans lequel reposait le cher petit ange, guettant son réveil afin de pouvoir le caresser, le couvrir de baisers.

Bientôt l’enfant commença à gazouiller, puis elle prononça ces mots qui font bondir de joie, le cœur des parents : pa-pa, ma-man.

Enfin, la petite Alice commença à marcher. Le père se mettait d’un côté de l’appartement, la mère de l’autre et l’enfant voyageait de l’un à l’autre, tombant à chaque pas, se relevant après mille efforts et continuant à marcher pour tomber, se relever et marcher de nouveau ; recevant pour récompense mille baisers et caresses de ses parents.

La joie régnait chez Arthur Lamontagne.

Hélas ! ils ignoraient que tout être appartient à Dieu qui peut nous ôter aujourd’hui ce qu’il nous a donné la veille.

Alice venait d’atteindre sa deuxième année lorsqu’elle fut attaquée de cette terrible maladie qu’on nomme diphtérie.

Décrire la douleur que ressentirent Arhtur et son épouse est impossible. Celui-là seul qui a eu l’incomparable malheur de perdre un de ses enfants comprendra leurs souffrances.

Au moment où commence notre récit, le médecin venait de les informer que tout espoir de guérison était impossible et que l’enfant allait mourir dans le cours de la nuit.

 

*  *  *

 

En apprenant cette terrible nouvelle, la jeune femme perdit connaissance. Le médecin lui prodigua de suite ses soins et la ramena à la vie. Hélas ! que ne l’a-t-il laissée dans cet état ; elle n’aurait pas eu à souffrir les douleurs inouies que la mort de son enfant devait lui causer.

En revenant à elle, la pauvre femme se jeta à genoux, puis s’adressant à la mère du Christ, elle lui fit une de ces prières qui partent du cœur et comme une mère sait en faire, lorsqu’elle voit un de ses enfants en danger :

« Marie, mère de Jésus, vous qui avez enduré toutes les souffrances, vous qui avez vu votre Fils fouetté, couronné d’épines et attaché à une croix, voyez ma douleur et secourez-moi. »

Quant au malheureux Arthur il semblait avoir perdu la raison. Pâle, les yeux égarés, il se tenait debout auprès du berceau, regardant son cher enfant se débattant dans des souffrances atroces.

La mère se lève et s’approche de son enfant. Ils s’assoient, Arthur d’un côté du berceau, Alice de l’autre, et tous deux se livrent alors à la contemplation de ce petit être que les anges venaient chercher.

Quelles douleurs sont semblables à celles de ces deux malheureux ?

Comme ils souffrent tous deux.

Enfin, l’enfant se calme ; Arthur et Alice se penchent à la hâte sur le berceau.

La petite ouvre les yeux. Elle aperçoit son père et sa mère auprès d’elle. Elle fait un effort, lève ses petits bras et enlaçant le cou de ces deux êtres qui l’aiment, elle les attire jusqu’à sa figure, pendant qu’un sourire de bonheur effleure ses lèvres.

Arthur et Alice n’osent remuer de crainte de causer quelques chagrins à leur petite fille. Mais il leur semble que les petits bras qui entourent leur cou sont plus froids. Il leur semble que ces petites joues qui touchent à leur joue sont plus froides. Ils se lèvent tous deux. L’enfant dans le berceau n’est plus qu’un cadavre.

Ma plume se refuse à décrire le désespoir de ces infortunés parents.

Le médecin qui avait été témoin de cette scène déchirante s’approcha d’Arthur et de son épouse et refoulant les larmes qui baignaient ses yeux, il chercha à les consoler.

La pauvre mère tomba comme foudroyée aux pieds du médecin. On courut chercher le prêtre.

Alice ne reprit connaissance que quelques instants, et le matin, le pauvre Arthur se trouvait en présence de deux cadavres.

Alice et son enfant furent inhumées au milieu d’un concours considérable de parents et d’amis.

Arthur suivait le cortège.

Bien des gens ne purent retenir leurs larmes à la vue du malheureux, tellement la douleur était empreinte sur sa figure.

Un an plus tard, Arthur laissait le monde pour entrer dans une communauté religieuse. Il songe aux pieds des autels, aux deux anges que Dieu lui avait donnés et qu’il lui a enlevés.

 

 

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