La critique.
Vous me demandez et je vous ai promis, si vous me le demandiez, de vous écrire le résultat de la plainte déposée par Nepos contre Tuscilius Nominatus .
On introduisit Nominatus, il plaida pour lui-même, sans que personne s’élevât contre lui, car les députés des Vicentins, loin de l’accabler, le déchargèrent. Le principal de sa défense fut qu’il avait manqué, dans sa charge non de conscience, mais de courage ; qu’il était descendu au forum avec l’intention de plaider, et avait même été vu au sénat ; qu’ensuite, effrayé par les propos de ses amis, il s’était retiré ; qu’on l’avait averti en effet de cesser de résister, surtout devant le sénat, à un sénateur qui luttait désormais avec tant d’acharnement non plus apparemment sur une question de marché, mais comme s’il y allait de son crédit, de sa réputation, de sa dignité ; qu’autrement il s’exposerait à une hostilité plus grande encore que dans la précédente audience. Là en effet, il avait bien recueilli quelques applaudissements, mais peu nombreux, quand il était sorti. Il mêla à ces paroles des prières et des larmes abondantes ; et même, en homme habitué au barreau, il tourna tout son discours de manière à paraître plutôt demander grâce (c’est le moyen le mieux reçu et le plus sûr), que présenter sa défense.
Le consul désigné Afranius Dexter fut d’avis de l’absoudre ; voici son argumentation : Nominatus aurait évidemment mieux agi, s’il eût soutenu jusqu’au bout la cause des Vicentins avec le même courage qu’il s’en était chargé ; cependant comme il n’avait mis dans sa faute aucune mauvaise foi, comme il n’était convaincu d’aucun manquement digne de punition, il devait être acquitté, à condition de rendre aux Vicentins ce qu’il en avait reçu. Tous se rangèrent à cet avis excepté Flavius Aper, il demanda d’interdire à Nominatus pendant cinq ans la fonction d’avocat, et, quoique son autorité n’eût entraîné personne, il persista dans son sentiment ; il alla même, invoquant le règlement du sénat , jusqu’à forcer Dexter, qui le premier avait émis l’opinion opposée de jurer qu’il croyait son avis conforme à l’intérêt de l’état. Quoique la demande fût légale, elle souleva quelques protestations. Elle semblait en effet accuser son auteur de corruption.
Mais avant qu’on recueillît les votes, Nigrinus, tribun de la plèbe, lut une requête éloquente et forte, dans laquelle il se plaignait de la vénalité des avocats, de la vénalité même des prévarications, des ententes conclues avant les procès, de l’habitude de substituer à la récompense de l’honneur de gros et solides profits tirés des dépouilles des citoyens. Il lut des textes de lois, il rappela les sénatus-consultes, et conclut qu’il fallait demander au meilleur des empereurs, puisque les lois, puisque les décrets du sénat étaient foulés aux pieds, de remédier lui-même à de si grands maux. Peu de jours s’écoulèrent ; puis parut un édit du prince, sévère et pourtant modéré ; vous le lirez, il est publié au journal officiel.
Combien je me félicite de m’être toujours abstenu, quand j’ai plaidé, de tout contrat, présent, honoraires et même des plus minimes cadeaux . Il est vrai qu’il faut éviter le mal, non parce qu’il est défendu, mais parce qu’il déshonore. On est heureux pourtant de voir interdire par la loi ce qu’on ne s’est jamais permis soi-même ; peut-être, ou plutôt certainement ma conduite me vaudra-t-elle moins d’honneur et moins de gloire, quand tous feront par contrainte ce que je faisais de plein gré. Jusque-là je goûte le plaisir d’entendre les uns me traiter de prophète, les autres répéter en riant et en plaisantant que mes rapines et ma cupidité ont bien mérité cette répression. Adieu.