Recommandation.
Si vous saisissez avec empressement toutes les occasions de me rendre service, de mon côté il n’est personne à qui j’aime mieux avoir obligation qu’à vous. Ce double motif me détermine à vous demander à vous de préférence un service que je désire vivement obtenir. Vous êtes à la tête d’une puissante armée ; ce poste met à votre disposition un grand nombre de faveurs, et depuis le temps que vous l’occupez, vous avez pu en combler tous vos amis. Tournez vos regards vers les miens, pas vers un grand nombre pourtant. Vous préféreriez, vous, en obliger beaucoup, mais ma discrétion se contentera de vous parler d’un ou de deux, ou plutôt d’un seul.
Ce sera Voconius Romanus. Son père s’était distingué dans l’ordre équestre, son beau-père, ou plutôt son second père (car il avait mérité aussi ce nom par son affection) y avait acquis plus de distinction encore et sa mère tenait aux premières familles. Lui a été l’an dernier choisi pour Flamine par l’Espagne citérieure et vous savez quel est le bon sens et le sérieux de cette province. Notre intime et tendre amitié a commencé avec nos études ; nous logions ensemble à la ville et à la campagne ; il partage mes occupations et mes plaisirs. Où trouver un ami plus sûr, un compagnon plus agréable ? Quel charme ravissant dans sa conversation, et non moins ravissant dans sa voix même et dans son visage ! Ajoutez-y un naturel noble, un esprit fin, délicat, avec de la facilité et la science du barreau. Il écrit des lettres dans lesquelles on croit entendre les Muses mêmes parler latin. Je l’aime de tout cœur et son amitié ne le cède pas à la mienne. Dès notre jeunesse commune, je lui ai rendu avec passion tous les services que me permettait notre âge, et je viens de lui obtenir de notre bon prince, le privilège que l’on accorde pour trois enfants ; quoique l’empereur ne le donne que rarement et avec choix, il a bien voulu me le concéder avec autant de bonne grâce que s’il l’avait choisi lui-même. Je ne puis mieux soutenir mes premiers bienfaits qu’en y ajoutant, surtout parce qu’il montre une telle reconnaissance, qu’en recevant les uns, il en mérite d’autres.
Vous savez quel est Romanus, combien je l’estime, combien il m’est cher ; procurez-lui, je vous prie, un emploi digne de votre caractère, digne de votre haute situation. Surtout aimez-le ; car même en lui faisant tout le bien qui est en votre pouvoir, vous ne pouvez lui accorder rien de plus précieux que votre amitié. C’est pour vous prouver qu’il la mérite et que vous pouvez même l’admettre dans votre intimité, que je vous ai dépeint en peu de mots ses goûts, son caractère, et tout son genre de vie. J’allongerais mes recommandations, si je ne savais pas que vous n’aimez pas à vous faire prier longtemps, et si je n’avais fait cela tout le long de ma lettre. Car c’est prier, et prier très efficacement que de donner la raison de ses prières. Adieu.