Le songe.
Vous m’écrivez qu’épouvanté par un songe , vous craignez quelque insuccès dans votre plaidoyer. Vous me priez de demander un délai et de vous excuser pour quelques jours ou du moins pour le lendemain. C’est difficile mais j’essayerai :
Car c’est de Zeus que nous viennent les songes.
Cependant il importe de savoir si d’ordinaire l’événement est conforme ou contraire à vos rêves. En me rappelant un des miens, il me semble que le vôtre, qui vous effraie, vous prédit un brillant plaidoyer. Je m’étais chargé de la cause de Junius Pastor, lorsque dans mon sommeil je crus voir ma belle-mère se jeter à mes genoux et me conjurer de ne pas plaider. Or je devais plaider tout jeune encore, je devais plaider devant les quatre tribunaux réunis, plaider contre les citoyens les plus puissants et même contre des amis de l’empereur. Une seule de ces circonstances risquait, après un songe de si mauvais augure, de me faire perdre la tête. Je plaidai néanmoins en me disant que : défendre sa patrie est le plus sûr des présages.
Ma parole donnée était à mes yeux autant que la patrie, et même plus que la patrie, si c’est possible. Tout alla bien, si bien que cette cause même m’ouvrit et les oreilles des hommes et les portes de la renommée. Voyez donc si, d’après cet exemple, vous ne pourriez pas interpréter en bien votre songe ; si au contraire vous trouvez plus de sûreté dans ce conseil de la prudence : dans le doute, abstiens-toi, faites-le moi savoir. J’inventerai quelque détour et je plaiderai votre cause, pour que vous puissiez, vous, plaider celle dont vous êtes chargé, quand il vous plaira. Évidemment vous êtes dans une situation différente de celle où je me trouvais. Les affaires jugées par les centumvirs ne souffrent point de remise, la vôtre, quoique difficilement, l’admet. Adieu.