La rapidité de la vie.
Ayant parlé dernièrement devant les centumvirs, en présence des quatre sections réunies, le souvenir me revint d’avoir plaidé déjà dans ma jeunesse devant les quatre sections. Mes réflexions, comme il arrive, m’emportèrent plus loin ; je me mis à penser aux collaborateurs qui, soit lors du récent procès, soit dans celui d’autrefois, m’avaient secondé dans ma tâche. Je restais le seul qui eût parlé dans les deux. Tels sont les changements où se plaisent soit la fragilité des mortels, soit l’instabilité de la fortune. Certains de ceux qui avaient plaidé jadis sont morts, d’autres exilés ; à l’un la vieillesse et la mauvaise santé ont conseillé le silence, l’autre a préféré jouir d’un bienheureux repos, celui-ci commande une armée, celui-là a été enlevé aux devoirs du barreau par l’amitié du prince ; et pour moi-même que de vicissitudes ! Les belles-lettres m’ont d’abord élevé, exposé ensuite au péril, et enfin relevé ; l’amitié des gens de bien m’a d’abord servi, puis m’a été nuisible, et de nouveau me sert ; si l’on compte les années, c’est un court espace de temps, si l’on compte les revirements du sort, on dirait une éternité. Cela nous enseigne à ne désespérer de rien, à ne compter sur rien, quand nous voyons tant de changements se succéder dans une révolution rapide. Or, j’ai l’habitude de vous faire part de toutes mes pensées, de vous adresser les mêmes leçons, de vous proposer les mêmes exemples qu’à moi-même ; c’est le seul but de cette lettre. Adieu.