La justice distributive.
D’autres s’en vont dans leurs domaines pour en revenir plus riches, moi pour en revenir plus pauvre. J’avais vendu mes vendanges à des marchands qui enchérissaient à l’envi ; ils étaient attirés par le prix, celui du moment et celui qu’on espérait pour l’avenir. Cet espoir a été trompé. Il eût été commode de faire à tous la même remise, mais ce n’était pas assez équitable. Or ce qui me paraît très bien c’est de pratiquer la justice chez soi comme au dehors, dans les affaires peu importantes comme dans les grandes, dans les siennes comme dans celles d’autrui. Car s’il est vrai que les fautes sont égales, les mérites le sont aussi. J’ai donc remis à tous, afin que personne ne s’en allât « sans cadeau de ma part », la huitième partie du prix d’achat ; puis pour ceux qui avaient employé les plus grosses sommes à leurs achats j’ai pris une mesure particulière ; car s’ils m’avaient rendu à moi un plus grand service, ils avaient subi, eux, un plus grand dommage. À ceux donc qui avaient acheté pour plus de dix mille sesterces, outre la remise commune et, si j’ose dire, publique du huitième, j’ai accordé le dixième de la somme qui dépassait dix mille sesterces. Je crains de ne pas me faire bien comprendre, je vais rendre ce calcul plus clair. Si quelques-uns avaient acheté, je suppose, pour quinze mille sesterces, ils ont bénéficié d’abord du huitième de quinze mille, puis du dixième de cinq mille sesterces.
De plus, réfléchissant que, sur ce qu’ils devaient, les uns avaient versé immédiatement un assez fort acompte, d’autres un tout petit, d’autres rien, je n’estimais pas juste de traiter avec une égale bonté dans la remise, ceux qui ne m’avaient pas traité avec une égale exactitude dans le paiement. J’ai donc encore à ceux qui avaient fait un versement remis le dixième de leur versement. J’ai cru que c’était le meilleur moyen pour le passé de m’acquitter envers chacun selon son mérite, et pour l’avenir d’intéresser tout le monde soit à acheter, soit même à payer.
Cette méthode, ou si vous voulez, cette complaisance m’a coûté cher, mais elle valait ce qu’elle m’a coûté. Car dans le pays c’est un concert d’éloges sur la nouveauté de cette remise et la manière dont elle a été faite. Parmi ceux mêmes que je n’ai pas mesurés, comme on dit, à la même aune, mais avec des distinctions et une gradation convenable, les meilleurs et les plus honnêtes ont emporté le plus de reconnaissance envers moi, se rendant compte que chez moi :
« Le bon et le méchant ne sont pas en égale estime. »
Adieu.