IV. – C. PLINE SALUE SON CHER CANINIUS.

La guerre contre les Daces.

Votre idée est excellente d’écrire la guerre contre les Daces . Car comment trouver un sujet aussi plein d’actualité, aussi riche, aussi vaste, aussi poétique enfin et, quoiqu’il traite de faits très vrais, qui ressemble autant à la fable. Vous direz de nouveaux fleuves s’élançant à travers la campagne, de nouveaux ponts jetés sur les fleuves, des camps suspendus aux flancs escarpés des montagnes, un roi chassé de son palais, chassé même de la vie, malgré une audace qui ne désespérait jamais ; vous y joindrez la célébration de deux triomphes, dont l’un fut le premier remporté sur une nation invincible, et l’autre le dernier.

Il n’y a qu’une difficulté, mais elle est très grande, c’est d’égaler ces exploits par votre style, tâche ardue, immense, même pour votre talent, bien qu’il sache s’élever jusqu’au sublime et puiser de nouvelles forces dans la grandeur même de ses entreprises. Il y aura bien de la peine aussi à faire tenir dans des vers grecs des noms barbares et sauvages, celui du roi en particulier. Mais il n’est pas de difficulté que l’adresse et les efforts ne parviennent, sinon à surmonter, du moins à aplanir. Au surplus, s’il est permis à Homère, quand il s’agit de mots grecs faciles à prononcer, de les abréger, pour la légèreté du vers, de les élargir, de les modifier, pourquoi n’userions-nous pas du même privilège, nous aussi, surtout quand il n’y a pas là recherche, mais nécessité . Pour le moment voici mes conditions : envoyez-moi les premières pages dès que vous les aurez achevées, ou plutôt avant de les achever, telles qu’elles seront dans leur premier jet, ébauches encore semblables à des nouveau-nés. Vous me répondrez que des fragments ne peuvent plaire comme une œuvre complète, ni des essais comme un travail fini. Je le sais. Aussi les apprécierai-je comme des tentatives, les regarderai-je comme des membres d’un tout, et attendront-ils dans mon coffret à manuscrits votre dernier coup de lime. Souffrez que j’aie, outre tous les autres, ce gage de votre amitié, de connaître même ce que vous ne voudriez laisser connaître à personne. Bref, il est possible que, pour vos écrits, plus vous mettrez de lenteur et de circonspection à me les envoyer, plus je les trouve beaux et plus je les loue, mais pour vous, je vous aimerai et je vous louerai d’autant plus, que vous mettrez plus de célérité et moins de circonspection dans vos envois. Adieu.

Share on Twitter Share on Facebook