XXIII. – C. PLINE SALUE SON CHER MARCELLINUS.

Éloge de Junius Avitus.

Travaux littéraires, affaires, distractions, tout s’en est allé, tout est tombé de mes mains, arraché par la douleur – une douleur immense – que j’ai éprouvée de la mort de Junius Avitus . Il avait revêtu le laticlave dans ma maison, mon suffrage l’avait soutenu dans la recherche des honneurs, de plus il avait pour moi une telle affection, un tel respect qu’il me regardait comme le guide de sa conduite, et presque comme un maître. C’est chose rare parmi les jeunes gens de notre époque. Combien en voit-on qui, reconnaissant leur infériorité, se montrent déférents envers l’âge, ou envers l’autorité ? Tout de suite ils ont la raison, tout de suite ils savent tout, ils ne respectent personne, n’imitent personne, et se prennent eux-mêmes pour modèles.

Ce n’était pas le cas d’Avitus, dont la sagesse consistait surtout à croire les autres plus sages que lui, et la science à vouloir s’instruire. Toujours il demandait quelque conseil, soit sur les lettres, soit sur les devoirs de la vie ; toujours en vous quittant il se croyait devenu meilleur, et il l’était devenu, soit pour avoir appris, soit pour avoir cherché à apprendre. Quelle déférence il témoigna à Servianus, le plus accompli des hommes ! Quand Servianus était légat et lui tribun, il estima ce chef et le captiva au point que celui-ci passant de Germanie en Pannonie, il le suivit non comme compagnon d’armes, mais comme attaché à sa personne et à sa suite. Avec quelle activité, quelle exactitude, devenu questeur, il a servi ses consuls, et il en a eu plusieurs, se montrant aussi agréable et aimable qu’utile ! Par combien de démarches, avec quelle diligence il brigua cette édilité même, que la mort l’empêcha d’exercer ! Cruauté du sort qui avive ma douleur. Je me représente sans cesse ces peines perdues, ces prières inutiles et cet honneur qu’il a seulement mérité ; je me rappelle ce laticlave pris à mon foyer ; je me rappelle mes recommandations en sa faveur, les premières, les dernières, et ces entretiens, et ces consultations.

Je déplore sa jeunesse, je déplore le malheur de sa famille. Il avait encore sa mère très âgée, il avait une femme qu’il avait épousée jeune fille depuis un an, une fille qu’il venait d’accueillir au monde. Tant d’espérances, tant de joies ont été changées en deuils dans un seul jour. Récemment désigné édile, nouveau mari, nouveau père, il a laissé sa charge avant d’y être entré, sa mère sans fils, sa femme veuve, sa fille orpheline et qui ne connaîtra pas son père. Ce qui fait encore plus couler mes larmes, c’est que, absent et ignorant du mal qui le menaçait, j’ai appris du même coup et sa maladie et sa mort, sans pouvoir me préparer par l’inquiétude à une si cruelle douleur.

Je suis dans une telle peine, en vous écrivant, que ma lettre n’est pleine que de ce sujet ; je ne puis en effet en ce moment ni songer à autre chose, ni parler d’autre chose. Adieu.

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