La maladie d’une femme célèbre.
Je suis vivement inquiet de la maladie de Fannia. Elle l’a contractée en soignant la vestale Junia, d’abord volontairement, car elle est sa parente, puis sur l’invitation même des pontifes. Car lorsque les vestales sont obligées par une maladie grave de quitter l’atrium de Vesta , on les confie aux soins et à la garde de matrones. Or c’est en s’acquittant avec dévouement de ce devoir que Fannia a été atteinte à son tour de ce mal. Les accès de fièvre persistent, la toux augmente, la maigreur est extrême, et la faiblesse très grande. Seuls son courage et son énergie restent entiers, bien dignes de son mari Helvidius, de son père Thraséas ; tout le reste s’en va et m’accable non seulement d’inquiétude, mais encore de douleur. Je suis désolé de voir cette femme admirable enlevée aux yeux de nos compatriotes qui peut-être n’en reverront plus jamais de pareille. Quelle pureté ! Quelle vertu ! Quelle dignité ! Quelle constance ! Deux fois elle suivit son mari en exil, une troisième elle fut elle-même bannie à cause de son mari. En effet Senecio était mis en accusation pour avoir composé un livre sur la vie d’Helvidius, et ayant dit dans sa défense qu’il l’avait fait à la prière de Fannia, Mettius Carus demanda à celle-ci sur un ton menaçant si elle l’en avait prié : « Oui », répondit-elle ; si elle lui avait donné des notes pour son livre : « Oui » ; si sa mère le savait « Non » ; enfin elle ne laissa échapper aucune parole inspirée par la peur. Bien mieux ; ce livre même, quoique interdit par un sénatus-consulte arraché par la contrainte et la terreur de ce temps malheureux, elle le sauva dans la confiscation de ses biens, le garda avec elle et emporta dans son exil la cause même de cet exil. Quel charme et quelle douceur aussi ! Combien enfin, par un don bien rare, elle méritait à la fois l’amour et le respect. Aurons-nous désormais un tel modèle à proposer à nos épouses ? Y aura-t-il une autre femme pour nous donner à nous autres hommes de pareils exemples de courage, une femme dont la vue, dont les paroles nous remplissent d’autant d’admiration que celles dont nous lisons l’histoire ? Et maintenant il me semble que cette maison même chancelle et que, ébranlée jusqu’à ses fondements, elle est prête à s’écrouler, bien que Fannia laisse des descendants ; car par quelles vertus, par quelles nobles actions pourront-ils effacer l’idée que leur race a fini avec cette illustre femme ?
Quant à moi, ce qui accroît encore mon affliction et ma douleur, c’est que je crois perdre une seconde fois sa mère, l’illustre mère d’une femme si admirable (je ne puis en faire un éloge plus éclatant) ; comme Fannia nous la représente et la fait revivre à nos yeux, elle nous l’enlèvera avec elle et, du même coup, me fera une blessure nouvelle tout en rouvrant l’ancienne. Je les ai vénérées toutes deux, chéries toutes deux ; laquelle plus vivement ? Je ne sais, et d’ailleurs elles ne voulaient pas de préférence entre elles. Elles ont éprouvé mon dévouement dans la prospérité, elles l’ont éprouvé dans l’adversité. J’ai été leur consolation dans l’exil, leur vengeur à leur retour. Je ne leur ai cependant pas rendu tout ce que je leur dois, et si je désire la conserver c’est surtout pour qu’il me reste le temps de m’acquitter. Voilà mes soucis pendant que je vous écris ; si quelque dieu les changeait en joie, je ne me plaindrais pas de mes alarmes. Adieu.