XVII. – C. PLINE SALUE SON CHER RESTITUTUS.

L’indifférence pour les lectures publiques.

Je ne puis me retenir de vous faire part du léger accès d’indignation que j’ai éprouvé à l’audition d’un de mes amis, et, puisque ce n’est pas possible de vive voix, je veux du moins l’exhaler dans une lettre. On donnait lecture d’un livre parfait de tous points. Deux ou trois auditeurs, fins connaisseurs, à ce qu’ils croient eux-mêmes ainsi qu’un petit nombre de leurs amis, l’écoutaient avec l’air de sourds-muets. Pas un mouvement des lèvres, pas un geste des mains ; ils ne se levèrent pas même une fois au moins par fatigue d’être assis. Quelle gravité ! Quelle délicatesse ! Ou plutôt quelle indifférence ! Quelle vanité ! Quelle aberration ! que dis-je ! quelle folie ! Employer un jour entier à blesser un homme, à s’en faire un ennemi, alors qu’on est venu chez lui en ami intime ! Avez-vous plus de talent que lui ? Excellente raison pour n’être pas jaloux, car la jalousie est une preuve d’infériorité. Bref, que vous valiez plus, ou moins, ou autant, louez votre inférieur, votre supérieur, votre égal ; votre supérieur parce que, s’il ne mérite des éloges, vous ne pouvez en espérer ; votre inférieur ou votre égal, car il importe à votre gloire de grandir le plus possible dans l’opinion celui que vous surpassez ou égalez. Moi, j’ai l’habitude de respecter même et d’admirer tous ceux qui tentent quelque effort dans les lettres. C’est un art difficile, décevant, et qui rend à ses détracteurs mépris pour mépris. Peut-être en jugez-vous autrement. Et pourtant qui au monde montre plus que vous de respect, de bienveillante estime pour ces travaux ? Voilà le motif qui m’a poussé à vous dévoiler mon indignation, certain que personne ne pouvait mieux la partager. Adieu.

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