XXXIII. – C. PLINE SALUE SON CHER ROMANUS .

Le grand succès oratoire.

Enlevez tout, dit-il, emportez les travaux commencés .

Que vous écriviez ou que vous lisiez, faites enlever, faites emporter tout et prenez en main mon discours, ce discours divin comme l’armure fameuse (est-ce assez de fierté ?), ou plus exactement ce discours, beau pour un des miens, car c’est assez pour moi de rivaliser avec moi-même.

Je l’ai écrit pour Attia Viriola et le rang de la personne, la rareté de l’exemple, l’importance du tribunal, lui donnent de l’intérêt. Cette femme de haute naissance, mariée à un ancien préteur, avait été déshéritée par un père octogénaire onze jours après que, entraîné par une folle passion, il lui avait donné une belle-mère. Elle réclamait les biens de son père devant les quatre sections des centumvirs. Cent quatre-vingts juges siégeaient (c’est le nombre qui compose les quatre sections), de part et d’autre une foule d’avocats et d’intéressés garnissaient les bancs qui leur étaient réservés, en outre une assistance serrée entourait le vaste espace occupé par le tribunal de cercles multipliés d’auditeurs. On se pressait même sur l’estrade des juges, et des tribunes de la basilique , les femmes d’un côté, les hommes de l’autre, se penchaient avides d’entendre, ce qui était difficile, et de voir, ce qui était facile. Grande était la curiosité chez les pères, chez les filles, chez les belles-mères même. Les sentences furent diverses. Deux sections nous donnèrent raison, deux autres nous donnèrent tort. Il est vraiment remarquable et étonnant que dans la même cause, avec les mêmes juges, les mêmes avocats, dans les mêmes circonstances on ait abouti à des jugements si opposés. Il est arrivé par un hasard, qui pourrait ne pas paraître un hasard, que la belle-mère a perdu son procès ; elle était héritière pour le sixième, et Suburanus aussi l’a perdu, lui qui, déshérité par son père, avait l’impudence de revendiquer les biens du père d’une autre, n’ayant pas osé réclamer ceux du sien.

Je vous donne ces détails, d’abord pour que vous appreniez par ma lettre ce que vous ne pouvez apprendre par mon plaidoyer ; et puis (j’avoue mon artifice), afin que la lecture de mon discours vous soit plus agréable, si vous croyez non pas lire, mais assister aux débats ; ainsi, quoique long, j’espère qu’il vous plaira autant que s’il était très court. Car la richesse du sujet, l’ingéniosité du plan, les courtes narrations qui y abondent, et la variété du style en renouvellent l’intérêt. Vous y trouverez, je n’oserais le dire à un autre, tantôt de l’ampleur, tantôt de la chicane, tantôt de la simplicité. Car à ces accents véhéments et sublimes j’ai été obligé de mêler des calculs et presque de demander des jetons et la tablette à compter , si bien que le tribunal des centumvirs se transformait brusquement en tribunal du juge unique . J’ai déployé mes voiles au souffle de l’indignation, de la colère, de la douleur, et dans cette vaste cause, comme en pleine mer, j’ai confié ma barque à plusieurs vents. En un mot, quelques-uns de mes amis regardent ce discours, comparé, je le répète à mes autres plaidoyers, comme mon « discours pour Ctésiphon ». Ont-ils raison ? Vous en jugerez mieux que personne, vous qui savez si bien par cœur tous les autres, qu’il vous suffira de lire celui-ci pour faire la comparaison. Adieu.

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