XVII

Le Turc joue avec son bras gauche. Une circonstance si remarquable ne peut pas être accidentelle. Brewster n’y prend pas garde ; il se contente, autant qu’il nous en souvient, de constater le fait. Les auteurs des Essais les plus récents sur l’Automate semblent n’avoir pas du tout remarqué ce point et n’y font pas allusion. L’auteur de la brochure cité par Brewster en fait mention, mais il reconnaît son impuissance à l’expliquer. Cependant, c’est évidemment de telles excentricités et incongruités que nous devons tirer (si toutefois la chose nous est possible) les déductions qui nous conduiront à la vérité.

Que l’Automate joue avec sa main gauche, c’est là une circonstance qui n’a pas de rapport avec la machine, considérée simplement comme machine. Toute combinaison mécanique qui obligerait un automate à remuer, d’une façon donnée quelconque, le bras gauche, pourrait, vice versa, le contraindre à remuer le bras droit. Mais ce principe ne peut pas s’étendre jusqu’à l’organisation humaine, où nous trouvons une différence radicale et marquée dans la conformation, et, de toute manière, dans les facultés des deux bras, le droit et le gauche. En réfléchissant sur ce dernier fait, nous rapprochons naturellement cette excentricité de l’Automate de cette particularité propre à l’organisation humaine. Et nous sommes alors contraints de supposer une sorte de renversement, car l’Automate joue précisément comme un homme ne jouerait pas. Ces idées, une fois acceptées, suffisent par elles-mêmes pour suggérer la conception d’un homme caché à l’intérieur. Encore quelques pas et nous touchons finalement au résultat. L’Automate joue avec son bras gauche parce que, dans les conditions actuelles, l’homme ne peut jouer qu’avec son bras droit ; – c’est simplement faute de mieux. Supposons, par exemple, que l’Automate joue avec son bras droit. Pour atteindre le mécanisme qui fait mouvoir le bras, et que nous avons dit être juste au-dessous de l’épaule, il faudrait nécessairement que l’homme se servît de son bras droit dans une position excessivement pénible et embarrassante (c’est-à-dire en le soulevant tout contre son corps, strictement opprimé entre son corps et le flanc de l’Automate), ou bien qu’il se servît de son bras gauche en le ramenant sur sa poitrine. Dans aucun des deux cas il n’agirait avec la précision et l’aisance nécessaires. Au contraire, l’Automate jouant, comme il fait, avec son bras gauche, toutes les difficultés disparaissent : le bras droit de l’homme passe devant sa poitrine, et les doigts de sa main droite agissent, sans aucune gêne, sur le mécanisme de l’épaule de la figure.

Nous ne croyons pas qu’aucune objection raisonnable puisse être élevée contre cette explication de l’Automate joueur d’échecs.

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