Tandis que le président Boisfleury se mettait en tête de retrouver le marquis de la Roche-Maubert, celui-ci ressemblait fort à ces bêtes fauves qui tournent sans relâche dans leur cage, espérant trouver une issue.
Du reste, comme on a pu le voir, le marquis était dans une cage.
Mais comment y était-il ?
D'une façon bien simple, si on se reporte à ce moment où le marquis poursuivait Janine dans un étroit corridor et, ivre d'amour et de fureur, essayait de la rejoindre.
On s'en souvient, le sol avait tout à coup manqué sous ses pieds.
Puis il avait jeté un cri terrible ; puis le chevalier d'Esparron et Janine n'avaient plus rien entendu.
Voici ce qui était arrivé.
À un certain endroit du corridor, le sol faisait place à une dalle tournante pareille à celles qui recouvraient les oubliettes.
La dalle avait fui sous le pied du marquis, et le marquis s'était senti précipité dans un abîme inconnu.
Cela avait été l'affaire d'un quart de seconde pendant lequel le marquis roulant dans les ténèbres s'était cru mort.
Mais au lieu de tomber sur des rochers aigus, des piques ou des lames de sabre, meubles ordinaires des oubliettes, au lieu de rencontrer dans sa chute un sol dur sur lequel il se serait brisé comme verre, le marquis était tombé dans l'eau.
Une sensation de froid succédant à cette angoisse terrible avait été accueillie par lui comme un bienfait inexprimable.
Non seulement, il ne s'était pas tué, mais encore la fraîcheur de l'eau calmait son exaltation.
Il s'était mis à nager.
L'obscurité la plus profonde l'enveloppait, et il pensa qu'il était tombé dans une citerne ou dans un puits.
En effet, ayant voulu aller droit devant lui, il s'était heurté à un mur ; puis, revenant en arrière, il en avait rencontré un autre, et enfin, il avait bientôt acquis la conviction qu'il était bien dans une citerne.
Mais comment en sortir ?
Pendant une heure environ, il se soutint sur l'eau, tantôt nageant avec vigueur, palpant les murs et cherchant une porte, tantôt faisant la planche et n'espérant plus son salut que du hasard.
Puis l'épouvante et l'angoisse l'avaient repris à la gorge. Cette eau glacée dans laquelle il était tombé était un raffinement de supplice et il devait finir par se noyer, si l'on ne venait pas à son aide.
Tout à coup il se passa une chose étrange.
Le marquis crut sentir que l'eau fuyait sous lui et que son niveau s'abaissait.
La citerne se vidait lentement par quelque soupape subitement ouverte.
Elle se vidait lentement, il est vrai, et, cela pouvait durer assez longtemps pour que le marquis épuisé se noyât ; mais l'instinct de la conservation et peut-être la soif de la vengeance lui donnèrent une vigueur nouvelle.
Il nagea encore, il nagea longtemps jusqu'à ce que, épuisé, il fermât les yeux et s'évanouît.
Mais ses pieds avaient enfin trouvé le sol de la citerne et il ne resta pas trois minutes sous l'eau, car l'eau s'échappant jusqu'à la dernière goutte, le laissa inanimé, mais vivant.
Et lorsque M. de la Roche-Maubert revint à lui, il était dans ce cachot donnant sur un escalier souterrain dont il était séparé par un treillage de barreaux de fer de l'épaisseur du bras et s'enchevêtrant les uns dans les autres.
On lui avait mis d'autres vêtements et il n'était plus mouillé, à ce point qu'il aurait pu croire qu'il avait fait un mauvais rêve.
Un homme, de l'autre côté de la cage, était assis sur une des marches de l'escalier, ayant un flambeau près de lui.
M. de la Roche-Maubert l'avait regardé avec effarement.
Puis il l'avait reconnu.
Et pris d'une fureur subite, il s'était rué sur les barreaux de sa prison.
Mais le chevalier s'était mis à rire.
Puis il lui avait dit en souriant :
– Monsieur le marquis, vous m'accorderez cette justice que j'ai opposé toutes sortes de résistance à vos projets téméraires, et que si vous avez failli vous noyer, si vous êtes prisonnier maintenant, c'est votre faute, absolument votre faute, et non la mienne.
– Ah ! misérable ! hurlait le marquis.
Le chevalier haussait les épaules.
– Au lieu de m'injurier, dit-il, écoutez-moi.
La rage du marquis était-elle épuisée, ou bien la curiosité de savoir ce qu'on voulait faire de lui fut-elle assez forte pour le calmer momentanément ?
Nous ne saurions le dire ; mais il se tut.
– Marquis, dit alors le chevalier, vous avez désobéi au Régent, vous avez dédaigné les conseils de l'abbé Dubois, votre parent, et tout ce qui vous advient est votre œuvre.
« La femme immortelle ne vous aime pas ; elle ne saurait vous aimer, et cela pour deux raisons : la première est que vous avez depuis longtemps passé l'âge des amours ; la seconde est que Janine m'aime et que son cœur n'est pas assez vaste pour nous loger tous les deux.
Le marquis serra les poings, mais il ne souffla mot et continua à regarder le chevalier.
Celui-ci poursuivit :
– En outre, Janine et moi nous avons à faire une besogne importante, dans l'accomplissement de laquelle nous ne voulons pas être dérangés ; et comme, si nous vous rendions la liberté vous iriez de nouveau faire grand bruit et grand tapage, souffrez que nous vous gardions jusqu'à ce que nous n'ayons plus à vous craindre. Rassurez-vous, du reste, c'est l'affaire de quelques jours.
Et le chevalier s'en était allé emportant le flambeau. Alors M. de la Roche-Maubert, l'intraitable vieillard, avait été en proie à un nouvel accès de fureur. Il avait heurté sa tête aux murs de sa prison, meurtri ses doigts aux barreaux de fer, crié et hurlé sans relâche, pendant plusieurs heures.
Enfin, épuisé, l'écume à la bouche, il était tombé sur le sol et n'avait plus fait entendre que des paroles vides de sens et des sons inarticulés.
Alors une lumière avait reparu dans l'escalier.
Le chevalier revenait portant un panier de provisions. Et s'arrêtant devant les barreaux :
– Marquis, avait-il dit, je ne veux pas vous laisser mourir de faim !…