Près de huit jours s'étaient écoulés.
La captivité change en haine féroce tous les autres sentiments qui se partageaient autrefois l'âme et le cœur d'un prisonnier.
Le marquis de la Roche-Maubert n'aimait plus Janine. Le marquis avait conçu pour elle une haine sauvage et mortelle.
Cependant au lieu de l'abattre, cet isolement avait surexcité sa fureur.
Pendant huit jours, le marquis avait hurlé et blasphémé sans relâche, injuriant le chevalier d'Esparron qui le visitait tous les soirs et lui faisait passer des provisions à travers les barreaux de sa cage.
Puis il avait vu, une nuit, venir deux autres visions, – on s'en souvient, – Janine et le margrave.
Et Janine lui avait dit d'un ton moqueur :
– L'heure de votre délivrance approche, marquis, et je veux que vous y puissiez travailler vous-même.
Et sur ces mots, on se le rappelle encore, elle lui avait jeté une petite lime en lui disant :
– Voilà pour scier vos barreaux ; mais, en travaillant sans relâche, vous n'arriverez pas à reconquérir votre liberté avant quinze jours.
Janine disparue, il s'était écoulé environ trois heures.
Le marquis n'avait même pas ramassé la lime et il avait continué à vociférer.
Au bout de ce temps, la lumière avait reparu dans l'escalier.
C'était encore le chevalier d'Esparron.
Le chevalier portait un énorme panier, cette fois, et qui devait renfermer des vivres pour plusieurs jours.
– Marquis, dit-il, je vais être très occupé désormais, et je ne sais pas si j'aurai le temps de vous venir visiter régulièrement.
« Aussi vous apporté-je des vivres pour une semaine. D'autant plus qu'elle m'a dit vous avoir donné une lime dont vous pourrez faire bon usage.
Sur ces mots, le chevalier fit passer du pain coupé en petits morceaux et des viandes froides à travers les barreaux, puis il jeta dans l'intérieur de la cage un paquet de chandelles et en laissa une allumée auprès des barreaux ajoutant :
– Puisque vous allez travailler, il est à propos que vous y voyiez !
Et le chevalier s'en alla.
Le marquis n'avait même pas ramassé la lime.
Cet outil était si petit et les barreaux de la cage si gros, que sa première pensée avait été que Janine et le chevalier d'Esparron se moquaient de lui.
Cependant, la lumière succédant aux ténèbres qui l'enveloppaient depuis sa captivité, ramena un peu de calme dans son esprit.
Il cessa tout à coup de hurler et de blasphémer.
Puis il ramassa la lime et se prit à l'examiner.
Elle était petite, mais d'acier bien trempé, et comme il l'essayait sur un des barreaux, il sentit que ses dents mordaient bien.
Alors il se souvint d'une foule d'histoires de prisonniers qui avaient percé des murs avec un clou et scié leurs chaînes avec un ressort de montre.
Et l'espoir de la délivrance lui monta au cerveau comme une ivresse et il se mit à la besogne.
Pendant une demi-journée environ, le marquis lima, lima sans relâche, ne s'arrêtant que pour remplacer par une autre la chandelle consumée et oubliant même de manger.
Au bout de plusieurs heures, le marquis, essoufflé, le front baigné de sueur, reconnut la vérité des paroles de Janine.
À travailler sans relâche, il en avait pour quinze jours. La lime mordait bien, mais les barreaux étaient si épais ! Et puis ils étaient serrés les uns contre les autres, au point qu'il faudrait en scier au moins quatre de haut en bas, et tout autant en travers pour pratiquer une ouverture assez grande pour que le marquis pût passer au travers.
Il eut un accès de découragement et abandonnant un moment sa besogne, il alla s'asseoir sur le grabat placé au fond de la cage et qui lui servait de lit.
La chandelle posée à terre, éclairait le cachot du bas en haut.
Les yeux distraits du marquis allaient du grillage au plafond formé par d'énormes solives, et comme ce plafond était très bas, quand il se tenait tout debout, il le touchait presque avec sa tête.
Soudain les regards du marquis se trouvèrent comme rivés entre deux de ces poutres.
Il avait vu une fuite, et cette fuite lui annonçait une ouverture.
Il se leva, prit la chandelle et l'approcha du plafond.
Les poutres étaient recouvertes d'un badigeon, mais l'humidité avait détaché peu à peu le plâtre qui les hourdait l'une à l'autre, pour nous servir d'une expression de maçon, et le marquis reconnut dans deux de ces poutres l'existence d'une trappe condamnée.
Comment s'ouvrait-elle autrefois ?
Le marquis ne le savait pas, et ceux qui l'avaient enfermé dans cette cage n'en soupçonnaient peut-être pas l'existence, car elle était en partie masquée par le badigeon.
Alors, avec la pointe de sa lime, M. de la Roche-Maubert se mit à faire tomber le plâtre peu à peu, et, en moins d'une demi-heure, il eut dégagé les rainures et mis à découvert deux charnières, sur lesquelles elle avait dû tourner jadis.
Ces charnières étaient en fer, mais d'une épaisseur ordinaire.
M. de la Roche-Maubert traîna son grabat verticalement au dessous, monta dessus, et, abandonnant les barreaux de la cage, il se mit à attaquer avec la lime l'une des charnières.
Le fer était oxydé et la lime mordait aisément.
Il ne fallut pas une heure au marquis pour que la première charnière fût rompue.
Alors il entama la seconde et, moins d'une heure après, la trappe ne tenait plus au plafond que par un verrou ou un pêne invisible et qui devait s'ouvrir de l'étage supérieur.
Mais de même qu'il est toujours facile d'enfoncer une porte dont on a brisé les gonds, de même en introduisant un outil quelconque dans la rainure qui avait supporté les charnières, il serait facile de faire jouer la trappe.
Malheureusement, la lime était trop petite, et l'outil dont le marquis avait besoin, n'était pas sous sa main. Il regarda autour de lui, fit le tour de son cachot cherchant et ne trouvant rien.
Tout à coup ses yeux s'arrêtèrent sur une grosse pierre qui était dans un coin et lui servait parfois de siége.
Cette pierre était lourde et pesait plus de quarante livres.
Mais le marquis, en dépit de ces [sic] soixante-six ans, était robuste.
Il prit la pierre à deux mains, l'éleva au dessus de sa tête, puis s'en servant comme d'un bélier, il se prit à heurter violemment la trappe.