Tel était le dénouement de cette absurde histoire, que j'avais trouvée tout au long dans l'ouvrage imprimé à la Haye en 1760.
La famille d'Esparron est une des familles de Provence les plus connues, et le marquis de ce nom habite un petit village des Basses-Alpes.
Je lui envoyai le volume lui demandant des explications.
Voici sa réponse :
« Monsieur,
« J'ai compulsé tous mes papiers de famille, interrogé mes souvenirs d'enfance et les récits de mes pères. Aucun chevalier d'Esparron n'a été condamné au bûcher.
« Votre très humble.
« Marquis d'ESPARRON. »
Les archives du Parlement ne font pas la moindre mention du procès de la femme immortelle, et les livres d'écrou du Châtelet ne la mentionnent pas.
Cependant, au dire du petit livre imprimé à la Haye, cette affaire avait passionné la cour et la ville.
Et je tournais et retournais mes deux volumes, cherchant la clef de ce mystère, lorsque sur le verso de la couverture, quelques mots écrits à la main attirèrent mon attention : Ce livre fait partie de la bibliothèque de la maison des pères de Saint-Jean de Dieu, sise à Charenton.
Signé Decoulmier.
L'abbé Decoulmier avait été le premier directeur de la maison de Charenton, reconstituée en passant des mains des frères de Saint-Jean de Dieu à l'administration civile.
Charenton a conservé ses archives, et c'est là que grâce à la complaisance d'un haut fonctionnaire, j'ai eu le mot de l'énigme.
En 1734, par ordre du roi et en vertu d'une lettre de cachet, on enferma à Charenton un pauvre diable de commis greffier nommé Boisfleury.
La folie de ce brave homme consistait à se croire président de la chambre au criminel, chargé de retrouver les conspirateurs et appelé à rendre les plus grands services à l'État.
Il portait même chez lui une robe rouge, et les gens de la rue de la Vrillière, qu'il habitait, se faisaient un malin plaisir de l'appeler monsieur le président.
Ledit Boisfleury avait une servante dont les robustes appas avaient tenté un malheureux cadet de Gascogne, appelé Castirac.
Ce Castirac, pour s'introduire dans la maison, s'entendit avec deux chenapans et prenant Boisfleury au sérieux, lui confia une histoire de sorcière et de vampire qui, disait-il, préoccupait tout Paris.
Boisfleury acheva de perdre la tête.
Il sortit en robe rouge, s'en alla chez plusieurs seigneurs qui le mirent à la porte, se fit ensuite chasser du palais, et en fin de compte, fut enfermé à Charenton et confié aux frères de Saint-Jean-de-Dieu.
Là, il rédigea un mémoire, qui n'était autre que l'histoire du Gascon Castirac, embellie des nombreuses ressources de son imagination de fou.
Boisfleury mourut en 1752 ; sa folie avait duré dix-huit ans.
Un prisonnier de Charenton, qui n'était pas fou, mais qui avait déplu à madame de Pompadour, parvint à s'échapper.
Il emporta le manuscrit de Boisfleury, tombé en sa possession, passa en Hollande, le fit imprimer à la Haye et en envoya un exemplaire aux frères de Saint-Jean de Dieu, en leur maison de Charenton.
Et voilà comment, mes chers lecteurs, je vous ai raconté de la meilleure foi du monde, une histoire dont il n'y a pas un mot de vrai.
Pardonnez au mystificateur, car il a été lui-même mystifié.
FIN