XII

La barque continuait à tourbillonner et était emportée avec une vitesse vertigineuse.

L'obscurité enveloppait le Régent, et tout brave qu'il était, il aurait pu être réellement effrayé, si le chevalier d'Esparron n'avait pas pris soin de lui expliquer comment s'effectuait ce fantastique voyage.

– Monseigneur, disait-il, en tenant le Régent par la main, ne craignez rien. Nous sommes dans un canal creusé au dessous de la rivière et qui aboutit à la maison où nous allons.

« Tout à l'heure nous allons nous arrêter, car le canal fera un angle brusque et retournera ensuite à la rivière.

– Mais, dit le Régent, y verrons-nous, au moins ?

– Tout à l'heure.

– Pourquoi a-t-on éteint le fanal ?

– C'est le courant d'air qui l'a éteint, monseigneur.

Et comme il disait cela, la barque reçut un choc et s'arrêta brusquement.

– Tenez toujours bien ma main, monseigneur, poursuivit le chevalier.

Le choc avait été si violent que le Régent, quoique assis, avait failli être précipité hors de la barque.

Mais, l'équilibre rétabli, le chevalier ajouta :

– Levez un peu la jambe, monseigneur, nous voici sur la première marche d'un escalier.

En effet, le Régent, enjambant le bordage, sentit tout à coup, sous son pied, un sol ferme.

D'Esparron le tenait toujours par la main.

Le Régent gravit une trentaine de marches, toujours entraîné par le chevalier.

Puis, ce dernier s'arrêta.

Alors le prince entendit le bruit d'une clef dans une serrure, puis, une porte s'étant ouverte subitement, aux ténèbres qui l'enveloppaient succéda soudain une clarté assez vive, et monseigneur Philippe d'Orléans se trouva au seuil d'une longue galerie, à l'extrémité de laquelle brillait une lampe.

– Monseigneur, dit le chevalier, nous sommes au seuil de la maison enchantée.

– Enchantée est bien le mot, répondit le Régent, car on y pénètre d'une façon singulière.

Un sourire vint aux lèvres de d'Esparron.

– Votre Altesse n'a rien vu encore, dit-il.

Au bout du corridor, il y avait une seconde porte.

Le chevalier ne l'ouvrit point comme la première, mais il frappa dessus avec le pommeau de son épée.

Alors cette porte s'ouvrit, et, cette fois, le Régent recula ébloui, tant fut étincelante la gerbe de lumière qui le frappa au visage.

Les contes orientaux ne donneraient qu'une idée imparfaite du lieu où se trouva alors monseigneur Philippe d'Orléans, régent de France.

Il n'y avait pas un salon au Palais-Royal, pas un salon à Versailles qui, un jour de gala, pût rivaliser de luxe, de coquetterie et d'originalité avec ce boudoir dans lequel le chevalier introduisit le prince.

Au premier regard, on eût pu croire à une forêt vierge du nouveau monde.

Les murs disparaissaient sous les fleurs et le feuillage, et des lampes à globe d'albâtre, suspendues au plafond de distance en distance, imitaient, à s'y méprendre, la clarté du soleil tamisée par les grands arbres, en un carrefour de bois.

Des parfums mystérieux chargeaient l'air, des fleurs inconnues s'échappaient de vastes jardinières ; le pied foulait un sable fin et moelleux en guise de tapis.

Au lieu de sièges, on voyait des hamacs suspendus à cette forêt artificielle dont chaque arbre portait des fruits merveilleux.

– Monseigneur, dit le chevalier en souriant, nous ne sommes plus à Paris, nous sommes dans l'Inde.

– Es-tu bien sûr que nous ne fassions pas un rêve et que nous n'ayons pas roulé sous la table, après boire ? dit Philippe d'Orléans.

– Votre Altesse est bien éveillée, dit le chevalier.

– Et comment appelles-tu cette salle ?

– C'est la grotte des Nymphes, monseigneur.

– Où sont les nymphes ?

– En voici une, regardez.

Le Régent se retourna et il fit un nouveau pas en arrière.

Le feuillage venait de s'écarter et une créature idéale, céleste, apparaissait aux regards fascinés du prince.

C'était la femme que représentait le médaillon, mais plus belle cent fois, comme si le peintre se fût trouvé impuissant en présence d'un pareil modèle.

Mais, chose plus bizarre encore, bien que ce fussent les mêmes traits, la même expression de visage, la femme du médaillon avait les cheveux blonds, et celle-ci les cheveux noirs comme l'aile du corbeau.

Son costume justifiait les paroles du chevalier ; nous ne sommes plus à Paris, mais dans l'Inde.

En effet, elle était vêtue d'une robe asiatique aux couleurs harmonieuses, chaussée de petites mules sans talons, et ses beaux bras nus étaient chargés de bracelets, et elle avait au cou un triple collier de perles grosses comme des noisettes, et dont chacune représentait pour le moins sans doute la vie d'un pauvre plongeur indien.

Le Régent la contemplait et se demandait s'il n'était pas en présence de quelque fille de nabab ou de roi du Bengale.

Mais elle vint à lui, fit une révérence aussi correcte qu'eût pu la faire une dame de la cour, et dit au prince en souriant :

– Je vous remercie, monseigneur, d'être venu. Le chevalier me l'avait promis, il est vrai, mais je n'osais y croire.

Et elle tendit au Régent sa belle main qu'il baisa galamment.

Alors elle l'attira sur un tapis de mousse étalé à l'entour du tronc d'un de ces arbres exotiques qui semblaient avoir été transportés là par la baguette d'une fée.

– Puisque vous avez bien voulu venir, monseigneur, dit-elle, je vais vous dire mon étrange histoire, et vous verrez que je ne m'abreuve pas de sang humain, comme le prétend le marquis de la Roche-Maubert.

Elle parlait d'une voix harmonieuse et douce, et cependant cette voix s'altéra tout à coup en prononçant le nom du marquis.

Le Régent la contemplait toujours et ne s'était pas aperçu que d'Esparron n'était plus là et qu'il était seul avec la reine de ce merveilleux palais.

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