XL

– Ô Janine, je vous aime ! Janine, je sens que ma raison m'abandonne et que mon cœur retrouve ses vingt ans, tandis que je suis à vos pieds, Janine, je veux réparer mes torts involontaires d'autrefois… je veux être votre époux, Janine. Vous serez la marquise de la Roche-Maubert.

Et l'amoureux vieillard demeurait à genoux.

Elle était silencieuse et le regardait avec un mélange de pitié et de haine.

– Monsieur le marquis, dit-elle enfin, vous avez voulu pénétrer jusqu'ici, quoi qu'on ait pu vous dire… vous avez eu tort…

– Je fusse allé vous chercher en enfer, Janine !

– Peut-être y êtes-vous ? fit-elle.

Et elle eut un énigmatique sourire.

Puis dégageant la main qu'il continuait à couvrir de baisers :

– Voyons, dit-elle, regardez-moi bien. Ai-je l'air d'une femme qui traverse les siècles sans prendre une ride, en conservant une jeunesse éternelle ? Et ne vous trompez-vous pas, marquis ?

– Non, non, dit-il, vous êtes Janine !

Elle haussa les épaules et dit tristement :

– Janine est morte.

– Morte !

– Vous l'avez vue sur son bûcher. Pouvez-vous en douter ?

– Janine, c'est vous, et vous êtes immortelle ! dit l'entêté vieillard.

– Janine avait les cheveux noirs.

– Et vous les avez blonds, n'est-ce pas ?

– Dame ! vous voyez…

– Oh ! fit le marquis, qu'est-ce que cela prouve ? rien. Il y a des eaux merveilleuses pour teindre la chevelure.

– Marquis, vous êtes fou.

– Soit, mais je vous aime…

– Alors, dit-elle froidement, prouvez-moi votre amour par votre soumission.

– Que dois-je faire ?

– M'écouter.

– Parlez, dit-il en la contemplant avec extase.

Le sourire avait disparu de ses lèvres, et son regard était maintenant acéré comme la lame d'un poignard.

– Puisque vous êtes venu jusqu'ici, dit-elle, je veux tenter un dernier effort… pour vous sauver… car votre vie tient à un fil…

À son tour, il haussa les épaules, et il eut un sourire qui voulait dire :

– La mort n'a rien à faire avec moi.

Elle reprit :

– Supposez un instant que je sois, non pas Janine, mais sa nièce, et que j'aie hérité en même temps que de sa beauté et d'une ressemblance frappante avec elle, d'un legs : sa vengeance…

– Ah ! oui, dit le marquis, vous m'avez dit la même chose autrefois… la nuit où vous me mordîtes au cou.

– Mais écoutez-moi donc ! fit-elle.

– Soit, parlez, dit le marquis, paraissant se résigner.

– J'ai pour mission de frapper un homme, un monstre plutôt. Vous venez, ô étourdi en cheveux blancs, vous poser sur mon chemin et vous entravez mes projets…

– Je vous aime.

– Moi, dit-elle, je devrais vous haïr, car vous avez trahi Janine !… mais Janine, en mourant, vous a pardonné… ou plutôt, elle ne m'a pas laissé d'instruction vous concernant…

« Eh bien, je vais, à mon tour, vous faire la prière que le Régent vous a faite, que l'homme qui est en haut vous a faite aussi, que vous a répétée celui qui vous a amené jusqu'ici…

Le marquis eut un rire féroce :

– Vous voulez que je m'en aille ? dit-il.

– Oui.

– Que je retourne dans mon château de Normandie, poursuivit-il en ricanant, et que je ne parle de vous à âme qui vive ?

– Oh ! non, dit-elle, il est trop tard !…

– Ah ! ah !

– Du moment où vous avez pénétré jusqu'ici, reprit-elle, vous avez été condamné…

– À mort ?

– À mort, marquis, dit-elle froidement.

– Et qui se chargera de l'exécution de la sentence ? fit-il en se redressant et posant la main sur la garde de son épée.

– Peu importe ! dit-elle. Eh bien, je voudrais commuer votre peine.

– En vérité !

– Dites un mot, et je donnerai des ordres, poursuivit elle. On vous apportera un breuvage qui vous plongera dans un sommeil léthargique de plusieurs heures et même de plusieurs jours. Lorsque vous reviendrez à vous, quand vous rouvrirez les yeux, vous serez dans un carrosse de voyage en compagnie de deux hommes qui auront ordre de ne vous quitter ni jour, ni nuit, et de vous poignarder au premier mot imprudent qui sortira de vos lèvres.

– Charmant ! ricana le marquis.

– Vous voyagerez ainsi plusieurs jours, plusieurs semaines et ne vous arrêterez qu'en Italie, dans la ville de Milan où vos gardiens vous conduiront dans un palais qui m'appartient et où ils vous tiendront prisonnier jusqu'à l'heure où la besogne que je me suis donnée ici sera accomplie. Alors, je vous rendrai la liberté, marquis, et vous pourrez revenir à Paris, et chercher Janine, si bon vous semble ! Janine n'aura plus rien à craindre de vous.

Le marquis riait toujours.

– C'est vous qui êtes folle ! dit-il.

Puis le délire amoureux qui l'étreignait lui monta au cerveau.

– Ah ! dit-il, vous ne voulez pas être ma femme… Eh bien !…

Il avait l'œil en feu ; il était furieux et frémissant…

Il voulut s'élancer sur la femme immortelle et la saisir dans ses bras…

Mais elle fit un bond en arrière et, rapide comme l'éclair, elle se réfugia à l'autre extrémité du salon oriental.

Sa main prit un sifflet qui pendait à sa ceinture et le porta à ses lèvres.

Le sifflet rendit un bruit aigu.

À ce bruit deux hommes entrèrent.

On eût dit que le mur de feuillage s'était entr'ouvert devant eux.

L'un de ces deux hommes était ce même adversaire masqué à qui le marquis devait un si joli coup d'épée.

L'autre était un nain hideux, un nègre vêtu de rouge qui portait un plateau sur lequel était un gobelet d'argent.

– À moi ! dit-elle.

Et regardant le marquis d'un œil enflammé :

– Vous n'avez plus qu'une minute. Buvez le contenu de ce gobelet, ou vous êtes mort !…

Mais le marquis répondit par un éclat de rire.

En même temps, il laissa tomber son manteau, prit ses pistolets à sa ceinture, et les braquant sur la poitrine de l'homme au masque :

– Vous vous trompez, madame, dit-il, c'est moi qui suis le maître de la situation !…

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