Le marquis avait l'épée à la main.
Quand il se trouva en présence de l'homme au masque, il poussa comme un rugissement.
– À nous deux, fit-il.
L'homme au masque laissa sa rapière au fourreau.
– Vous voulez donc votre revanche ? demanda-t-il avec calme.
– Sans doute, dit le marquis, et je m'étonne que vous n'ayez point dégainé encore.
– C'est que je ne vous savais pas aussi pressé.
– Vraiment !
– Et que je ne le suis pas moi-même.
– Vous deviez pourtant vous attendre à me retrouver sur votre chemin, dit le marquis furieux.
– Très certainement, et la preuve en est que je suis venu vous ouvrir.
– Ah ! c'est juste, fit le marquis frappé de la logique de cette réponse.
– Or, poursuivit le chevalier, si vous voulez m'écouter une seconde, vous verrez…
– Parlez !
– Vous êtes entré dans la maison, là-haut…
– Naturellement.
– Vous voulez absolument voir la femme immortelle, comme vous l'appelez ; et, poursuivit l'homme au masque, toutes les bonnes raisons qu'aura pu vous donner maître Guillaume vous auront paru mauvaises, puisque vous voilà ici.
– Vous savez cela ?
– Je l'imagine, puisque Guillaume a frappé la plaque de la cheminée, derrière laquelle se trouve un timbre qui correspond à l'endroit où je me trouvais, ce qui fait que je suis venu à votre rencontre.
– Eh bien, monsieur, dit le marquis, maintenant que vous voilà fixé, en garde, s'il vous plaît.
– Un mot encore, et je suis à vos ordres.
– Soit, mais hâtez-vous.
– Il est bien convenu, poursuivit l'homme au masque, que vous n'êtes pas venu jusqu'ici uniquement pour vous rencontrer avec moi de nouveau et prendre votre revanche.
– Non, je suis venu, parce que je veux la voir.
– Eh bien, si nous nous battons tout de suite et que je vous tue, vous ne la verrez pas.
Ceci était encore parfaitement logique.
Cependant le marquis eut un geste de défiance :
– Je crois, dit-il, que vous avez peur et que vous cherchez à m'échapper.
– Dieu m'en garde ! et j'irai plus loin encore, dit l'homme au masque avec colère. Du moment que vous êtes venu jusqu'ici, nous n'avons plus de raison pour vous barrer le chemin, et si vous voulez voir la femme immortelle, je suis prêt à vous conduire auprès d'elle. Après quoi, si le cœur vous en dit encore, je me mettrai à votre disposition.
En bonne conscience, le marquis de la Roche-Maubert n'avait plus aucune objection à faire.
– Eh bien, soit, dit-il, marchons.
– Suivez-moi, répondit l'homme au masque.
Puis, élevant son flambeau au dessus de sa tête de façon à éclairer la route, il passa le premier.
Le marquis avait remis son épée au fourreau.
Le corridor était long, tournait sur lui-même comme un large escalier, affectait une pente assez rapide, et rappelait à M. de la Roche-Maubert, cette voie originale construite par Louis VIII dans une des tours du château d'Amboise, laquelle permettait au monarque d'arriver en litière, à cheval ou en char jusque sur la plate-forme du palais qui est à plus de cent pieds au dessus du niveau de la Loire.
– Mais ce corridor ne finira donc jamais ? s'écria le marquis perdant patience.
L'homme au masque se retourna :
– Il finira toujours trop vite pour vous, dit-il d'une voix empreinte d'une raillerie triste.
– Ah ! oui, ricana le marquis, vous allez sans doute me tenir le même langage que le Régent.
– Le Régent vous aimait beaucoup, marquis.
– Il m'aimera encore…
– Ou du moins il vous regrettera.
– Plaît-il ?
L'homme au masque s'était arrêté.
– Écoutez, marquis, dit-il, vous êtes fou, mais l'honneur doit vous être cher encore, et je suis convaincu que si vous me donniez votre parole, vous la tiendriez…
– Que voulez-vous dire ? fit le marquis avec hauteur.
– Que vous allez, tête baissée, à la mort.
– Oh ! oh ! est-ce vous qui me tuerez ?
– Je ne puis rien dire. Seulement, de grâce, écoutez-moi encore. Vous avez fait violence à Guillaume, vous avez trouvé un chemin qu'on ne voulait pas vous laisser parcourir, vous êtes venu jusqu'ici, tout cela est fort bien. Consentez à revenir en arrière, donnez-moi votre parole de gentilhomme que vous retournerez dans votre province, que vous ne parlerez plus à personne de ce que vous avez vu, que vous ne prononcerez plus désormais le nom de la femme immortelle et il en est temps encore, je vous sauve !
– Monsieur, dit le marquis avec colère, je vous ai accepté comme guide et non comme conseiller.
– Ainsi, vous voulez aller en avant ?
– Morbleu ! oui, je le veux !
– Eh bien, dit tristement l'homme au masque, que votre volonté soit faite.
Et il se remit en marche.
En outre de son épée, on s'en souvient, le marquis s'était muni de ses pistolets.
– Vive Dieu ! murmurait-il en suivant l'homme au masque qui avait allongé le pas, une armée ne me ferait pas reculer maintenant.
Le corridor fit une dernière évolution sur lui-même, et le marquis se trouva en présence d'une nouvelle porte.
– Écoutez, dit encore l'homme au masque, si depuis tout à l'heure vous aviez réfléchi, il serait temps de revenir sur vos pas.
– Jamais ! s'écria le marquis.
L'homme au masque ôta silencieusement son chapeau.
– Que faites-vous ? demanda le marquis hors de lui.
– Je salue celui qui va mourir, dit-il.
Et il frappa à cette porte qu'il avait devant lui.
Une voix de femme se fit entendre derrière cette porte, disant :
– Qui est là ?
– Le marquis de la Roche-Maubert, répondit l'homme au masque.
– Vous n'avez donc pu lui faire rebrousser chemin ?
– Non.
– C'est la voix de Janine, je la reconnais ! s'écria le marquis ; je veux la voir.
– Que la volonté de la destinée s'accomplisse donc ! reprit la même voix.
En même temps la porte s'ouvrit.
Alors le marquis ébloui par une gerbe de lumière, se trouva au seuil de cette salle orientale dans laquelle le Régent avait pénétré quelques nuits auparavant.
Janine était assise sur une pile de coussins, son enivrant sourire aux lèvres.
Et le marquis, ivre d'amour, se précipita vers elle et lui dit en se mettant à genoux :
– Oh ! oui, c'est bien toi… toi que j'ai aimée… toi que j'aime encore !…
Et il prit une des mains de la femme immortelle et la porta avec transport à ses lèvres parcheminées.
La porte qu'il venait de franchir s'était refermée et l'homme au masque avait disparu.
* * * *