La servante, cette fille rousse à qui maître Guillaume avait donné le nom de Suzon, se trouvait dans le vestibule, quand le marquis et le bourgeois sortirent.
– Suzon, lui dit Guillaume, tu peux monter dans ta chambre et te coucher.
La servante salua et se dirigea vers l'immense cage d'escalier, qui montait aux étages supérieurs.
C'était sous ce même escalier que s'ouvrait la porte des caves ou plutôt de la cave, car maître Guillaume, en ouvrant la porte, dit au marquis :
– Notre visite sera bientôt faite, monseigneur, la cave n'est ni grande ni profonde.
La vue de sa servante paraissait avoir un peu calmé l'épouvante du maître Guillaume.
Ce fut presque d'un pas ferme qu'il s'engagea le premier sur les marches humides et glissantes de l'escalier.
Il levait le flambeau au dessus de sa tête, et M. de la Roche-Maubert marchait derrière lui sans hésitation.
À la trentième marche, Guillaume se retourna.
– Nous y sommes, dit-il.
Le marquis vit alors une salle souterraine voûtée, qui paraissait avoir la largeur de la maison qu'elle supportait, et autour de laquelle étaient rangées de belles futailles, pleines pour la plupart.
– Peste, dit le marquis, voilà un beau caveau, et bien meublé, monsieur Guillaume.
Le bourgeois s'inclina.
– Voyons les autres, continua le marquis.
– Quels autres, monseigneur ?
– Les autres caves, pardieu !
– Il n'y en a pas d'autres ; du moins, je n'en connais pas.
– Par exemple !
M. de la Roche-Maubert était un homme consciencieux. Soutenu par cette conviction double d'abord que le laboratoire de Janine était sous terre, ensuite que la femme immortelle habitait quelque part dans cette maison, à l'insu du bourgeois lui-même, il s'arma d'un marteau de tonnelier qu'il trouva sur une futaille.
– Qu'allez-vous faire ? demanda Guillaume.
– Chercher les portes condamnées.
Il lui prit alors le flambeau, puis le tenant d'une main et le marteau de l'autre, il se mit à frapper sur les murs de la cave, de distance en distance, tantôt en haut, tantôt en bas.
Le marquis savait parfaitement qu'une porte, même murée, rend toujours un son moins plein qu'une muraille ordinaire.
Et, d'ailleurs, il était persuadé que la porte de fer dont lui avait parlé Conrad existait encore, mais, qu'elle avait disparu sous une couche de badigeon, car les murs semblaient avoir été recrépis il y avait quelques années seulement.
Le marquis en fut pour ses frais. Partout le marteau rendit le même son.
Alors, comme l'un des bouts était pointu, destiné qu'il était à glisser au besoin entre les douves de tonneaux, M. de la Roche-Maubert, qui ne se décourageait pas, creusa le sol çà et là.
Le marteau s'enfonçait dans une terre humide et poreuse et ne rencontrait nulle part une résistance.
– Voilà qui est bizarre ! murmura-t-il enfin ; il doit pourtant exister une voûte ou un autre plancher sous nos pieds.
– Je ne crois pas, murmura Guillaume.
Le marquis se remit à la besogne. Au bout d'une heure, il n'était pas plus avancé.
– Il faut que je me trompe, murmura-t-il enfin, et que la porte, l'issue que je cherche soit ailleurs qu'ici.
Maître Guillaume paraissait d'une parfaite bonne foi.
Le marquis voulut remonter au rez-de-chaussée, Guillaume le suivit de nouveau.
Le marquis avait conservé le marteau.
Il recommença au rez-de-chaussée, puis d'étage en étage, ce sondage des murs qui n'amena aucun résultat.
Rien n'était moins mystérieux que cette maison, et c'était bien l'habitation d'un bourgeois paisible qui mange ses petites rentes.
– Vous le voyez, monseigneur, dit Guillaume, il n'y a ni murs creux, ni portes secrètes, ni souterrains. Je n'ai jamais entendu dire que cette maison eût été habitée par des sorciers, et je crois bien qu'on vous aura mal renseigné.
Il disait cela avec une candeur parfaite, – si parfaite qu'un soupçon traversa l'esprit du marquis : – Je pourrais bien m'être trompé de maison, se dit-il.
Alors il fit mille excuses à maître Guillaume, lui dit qu'il ne tarderait pas à lui venir donner des nouvelles de ce grand seigneur, son ami, qui s'intéressait à lui, et il finit par s'en aller sans lui avoir donné d'autre explication.
Mais, une fois dans la rue, le marquis ne se tint pas pour battu.
Il était, en effet, possible qu'il se fût trompé et qu'il eût pris la maison de Guillaume pour celle de la femme immortelle ; mais enfin, il était dans la rue de l'Hirondelle, ceci n'était pas douteux, et c'était bien la rue de l'Hirondelle que Jeanne [sic] habitait autrefois.
Tandis que le marquis s'était trouvé avec maître Guillaume, la lune s'était levée, et ricochant sur les pignons pointus des maisons, elle laissait ruisseler ses rayons dans la rue.
Le marquis se prit à examiner une à une toutes les maisons du côté gauche, car il se souvenait parfaitement que c'était à gauche et non à droite que celle qu'il cherchait se trouvait.
Mais plus son examen était consciencieux, plus sa conviction devenait forte.
La maison de Janine était bien celle d'où il sortait, la maison de ce bélître de Guillaume.
– Dussé-je passer la nuit ici, se dit l'entêté vieillard, je saurai bien quelque chose.
Juste en face de cette maison, il y en avait une autre dont le porche était perdu dans l'ombre.
Le marquis alla s'y placer et y resta les yeux fixés sur la maison dont une seule fenêtre était éclairée, celle de la chambre du bourgeois qui se mettait sans doute au lit.
Le marquis attendit environ une heure. La lumière s'éteignit. Guillaume dormait ou s'apprêtait à dormir.
Cependant le marquis ne bougea.
Quelque chose lui disait qu'il allait assister à des choses imprévues, sinon extraordinaires.
En effet, comme minuit sonnait dans le lointain à Saint-Germain l'Auxerrois, un pas d'homme, suivi d'un cliquetis d'épée heurtant le pavé, se fit entendre.
Au clair de la lune, le marquis vit un homme qui marchait lestement, le nez dans son manteau retroussé par un coin.
Ce pouvait être un passant.
Pourtant le marquis eut un battement de cœur qui se trouva bientôt justifié, car l'homme au manteau s'arrêta devant la porte de maître Guillaume.
Alors le marquis traversa la rue et vint se camper devant lui.
L'inconnu eut un geste de surprise, et M. de la Roche-Maubert s'aperçut qu'il avait un masque sur le visage.
– Mon gentilhomme, dit le marquis, me permettrez-vous de vous demander où vous allez ?
– Chez moi, répondit l'homme au manteau.
– Cette maison est à vous ?
– Sans doute.
Et, pour preuve, il tira de sa poche une clef qu'il mit dans la serrure.
– Voilà qui est trop fort ! s'écria le marquis.
Et il se plaça devant la porte, ajoutant :
– Vous n'entrerez pas que vous ne m'ayez donné une explication.
En même temps il tira son épée.
L'homme au manteau en fit autant et le marquis l'entendit ricaner au travers de son masque.