M. de la Roche-Maubert s'était donc mis devant la porte, flamberge au vent, bien résolu à ne laisser entrer l'inconnu que lorsque celui-ci lui aurait donné une explication.
L'inconnu riait au travers de son masque :
– Vous allez me laisser pénétrer chez moi, je suppose, dit-il.
– Pas avant que nous n'ayons causé un brin, dit l'entêté marquis.
– Je ne vous connais pas, monsieur, fit courtoisement l'inconnu.
– Ni moi, monsieur.
– Alors que pouvons-nous avoir à nous dire ? dit l'inconnu d'un ton hautain.
– Monsieur, reprit le marquis, vous voulez entrer dans cette maison ?
– Sans doute.
– Et vous prétendez rentrer chez vous ?
– Parfaitement. La preuve en est que voilà une clef qui tourne dans la serrure.
– Moi, monsieur, je sors de cette même maison.
– Ah !
Et au travers du masque, les yeux de l'inconnu brillèrent comme des lucioles.
– J'y ai trouvé un brave homme qui se nomme Guillaume Laurent.
– En vérité !
– Lequel m'a affirmé que la maison était à lui.
– Ah !
– Or, reprit le marquis avec une logique de plus en plus serrée, si la maison est à Guillaume, elle n'est point à vous ; si elle est à vous, elle n'est pas à Guillaume.
– Et qu'est-ce que cela peut vous faire, bon Dieu ?
– Cela m'intrigue.
– Mon gentilhomme, dit froidement l'homme au masque, la curiosité est malsaine par de certaines nuits où il fait clair de lune.
– Vraiment ! ricana le marquis.
– Je vous conseille donc d'aller vous coucher fort tranquillement à votre hôtellerie, car vous me paraissez un gentilhomme de province, ajouta l'homme au masque avec ironie.
– Que je sois de province ou non, je ne m'en irai pas ! fit le marquis avec obstination.
– Mon cher monsieur, reprit l'inconnu qui n'avait rien perdu de son calme, si vous n'aviez la moustache noire, je jurerais que c'est à un vieux fou que j'ai affaire, tant votre voix ressemble à la sienne. Ne seriez-vous pas par hasard le marquis de la Roche-Maubert, un vieux maître qui se sera plongé dans quelque bain préparé par Buffalo ?
Le marquis tressaillit.
Lui aussi croyait avoir entendu déjà la voix qui résonnait à ses oreilles.
Et tout à coup il dit à son tour.
– Et vous, en dépit de votre masque, je vous reconnais.
– Ah ! ah !
– Vous êtes le chevalier d'Esparron ?
– Vous êtes donc le marquis de la Roche-Maubert.
– Peut-être…
– Marquis, dit froidement l'homme au masque, je croyais que vous aviez quitté Paris.
– Je l'ai quitté, en effet, mais je suis revenu.
– Pour vous mêler de choses qui ne vous regardent pas.
– Peut-être.
– Vous avez tort, marquis.
– Je veux la voir ! dit le vieillard.
– Qui donc ?
– Elle ! la sorcière ! la femme immortelle, qui loge dans cette maison, car, à présent, je n'en puis plus douter.
– Bah !
– Puisque vous voilà.
– Je vous jure, marquis, que c'est un bon conseil que je vous donne, en vous invitant à vous aller coucher. Vous logez rue de l'Arbre-Sec, n'est-ce pas ?
– Non, plus maintenant : rue Saint-Jacques, au Cheval Rouan.
– C'est plus près. Bonsoir, marquis.
Et l'homme au masque voulut écarter le marquis.
Mais le vieillard rajeuni lui porta la pointe de son épée au visage.
– Allons, dit l'homme au masque, je suis de l'avis de monseigneur le Régent, vous êtes l'homme le plus entêté de France et de Navarre.
Et comme, lui aussi, il avait l'épée à la main, il se mit en garde.
La rue était déserte et les bourgeois dormaient.
Mais n'eussent-ils pas dormi qu'ils se fussent bien gardés, entendant un cliquetis d'épées, de se mettre à la fenêtre.
Les Parisiens du menu monde avaient pris, dès longtemps, l'habitude de ne se jamais mêler des querelles de gens de qualité.
Le marquis et son adversaire pouvaient s'en donner à cœur joie.
Ils engagèrent donc le fer, et l'homme au masque murmura d'un ton moqueur :
– Vous m'accorderez cette justice, monsieur, que j'ai essayé de vous parler raison.
Mais le marquis ne voulait rien entendre.
Il avait été très friand de la lame, en son temps, et son adversaire, dès la première passe, sentit qu'il avait affaire à une rude épée.
– Ma foi ! tant pis, dit-il, advienne que pourra.
Pendant dix minutes on entendit un cliquetis d'enfer ; les deux épées étaient engagées jusqu'à la garde, le fer heurtait le fer, et ce vieillard et ce jeune homme luttaient avec une terrible égalité de force, de souplesse et de courage.
Cependant un spectateur, si ce combat en eût eu un, aurait pu voir que l'homme au masque se défendait plutôt qu'il n'attaquait, et conservait toutes ses forces, tandis que le marquis commençait à s'épuiser.
– Marquis, dit-il tout à coup, croyez-moi, il en est temps encore, suivez mon conseil, rentrez à votre auberge et, demain, prenez le chemin de votre château de Normandie.
– Plutôt la mort, répondit le marquis qui sembla reprendre une vigueur nouvelle.
Et le combat recommença plus acharné que jamais.