XX

Les réflexions du président de Boisfleury furent de courte durée, et il parut avoir pris une résolution.

– Maître Révol, dit-il au barbier, je vous remercie de votre concours. Laissez là ce que vous avez écrit, j'en aurai besoin dans l'instruction.

Le barbier reposa la plume sur la table.

– Reprenez votre lancette et allez-vous-en, continua M. Boisfleury, et gardez le silence sur tout ce que vous venez de voir et d'entendre ; car si vous entraviez la marche de la justice, il pourrait vous arriver malheur. Ne l'oubliez pas.

Le barbier avait une sainte terreur du président Boisfleury. Il savait que, par amour de la justice, le zélé magistrat ne reculerait devant rien, et il s'en alla en saluant jusqu'à terre et en protestant de sa discrétion absolue.

M. Boisfleury demeura seul avec le Gascon.

– Mon ami, lui dit-il, rien ne me prouve que tout ce que vous m'avez raconté ne soit scrupuleusement vrai ; mais rien ne me prouve aussi que vous ne m'ayez pas débité une foule de mensonges, à la seule fin d'expliquer comment vous avez de l'or plein vos poches.

« Dans ces conditions, je vous garde prisonnier jusqu'à plus ample information.

Le chevalier de Castirac étouffa une exclamation de surprise, mais le président ne lui donna pas le temps de répliquer.

Il se mit à appeler de toutes ses forces Marianne, sa vieille gouvernante.

Marianne arriva.

Le président lui montra le Gascon.

La servante fit un geste d'étonnement et presque d'effroi. Elle avait vu le chevalier comme mort, et elle le retrouvait à ses pieds.

En outre elle n'avait peut-être jamais vu son maître en robe rouge à sept heures du matin.

Boisfleury, lui ayant montré le Gascon, lui dit :

– Monsieur est un de mes amis.

La surprise de Marianne augmenta.

– Tu vas lui servir à déjeuner.

Marianne leva les yeux au ciel.

– Et tu ne le laisseras sortir sous aucun prétexte.

Le chevalier écoutait bouche béante.

Après avoir eu grand'peur, il avait grande envie de rire, et cela était tout simple si on songeait que ce président en robe rouge prenait pour exécuter ses arrêts une maritorne comme la vieille Marianne.

Cependant le chevalier sut se mordre les lèvres à propos, garda son silence et répondit :

– Je ne demande pas mieux que de rester prisonnier jusqu'à ce que vous ayez, monseigneur, vérifié la véracité de mes assertions.

Boisfleury, le magistrat terrible, avait comme on l'a pu voir, des côtés singulièrement naïfs. Outre la douce manie qu'il avait de faire de la justice chez lui, en catimini, il ne doutait pas que ses arrêts pussent n'être pas exécutés et il avait donné l'ordre à la vieille Marianne de veiller sur son prisonnier aussi sérieusement que s'il se fût adressé au gouverneur du Châtelet ou de toute autre prison.

Le chevalier se disait à part lui :

– Quand je voudrais m'en aller, ce n'est pas cette vieille qui me retiendra. Puisque l'on m'offre à déjeuner, je ne vois pas pourquoi je refuserais.

Tandis que Marianne continuait à manifester son étonnement, étonnement d'autant plus fort que le président, qui n'avait jamais offert un verre d'eau à personne, parlait de donner à déjeuner au Gascon ; tandis que celui-ci prenait la résolution d'attendre que le bonhomme se fût donné le plaisir de terminer son enquête, Boisfleury opérait en leur présence une petite métamorphose.

Il quittait la robe, endossait son habit noir, sa veste noire, chaussait ses souliers à boucles d'argent, posait son tricorne sous son bras, fourrait dans sa poche les notes prises par le barbier et, sa canne à la main, après avoir salué le Gascon d'un geste amical, il se dirigeait vers la porte.

– Allons tout d'abord au parlement, se disait-il.

Et il sortait, laissant le chevalier de Castirac en tête à tête avec la vieille Marianne.

* * * *

Le président Boisfleury était un homme trop économe pour aller en voiture ou en litière, autrement que dans les grandes occasions.

Si la veille, il avait adopté le dernier mode de locomotion, c'est qu'il avait rendu ses visites de cérémonie.

Il n'y avait pas loin, du reste, de la rue de la Vrillière au Palais de Justice.

Le président Boisfleury se mit à marcher d'un pas leste et gaillard, descendit au bord de l'eau, suivit la berge jusqu'au pont Neuf et gagna le Palais.

Les gens de justice se lèvent matin, et dans la grande salle, il y avait déjà des juges, des avocats et des plaideurs.

Les huissiers, qu'on appelait alors des exempts, les greffiers, les procureurs étaient déjà à leur poste.

Le président Boisfleury entra au greffe de la grande chambre criminelle et dit au greffier, en lui donnant les notes prises par le barbier Révol :

– Mettez-moi tout cela au net et attendez mes ordres.

Alors, comme aujourd'hui, le Palais et le Châtelet communiquaient par des corridors et des portes gardées par des soldats.

Et le lieutenant de police logeait au Châtelet.

Les ordres donnés au greffier, le président Boisfleury se dirigea vers le Châtelet.

Tout le monde le connaissait et le redoutait au Palais ; les soldats lui présentèrent les armes, les portes s'ouvrirent devant lui et il arriva chez le lieutenant de police un peu avant huit heures du matin.

Cet autre magistrat, tout en veillant sur la sécurité et le repos des Parisiens n'avait pas les habitudes matinales du président Boisfleury.

Il était encore couché, et ses gens firent quelques difficultés pour pénétrer dans sa chambre et l'éveiller.

Mais le président Boisfleury les menaça bel et bien de toutes les foudres de la justice et ils finirent par obéir.

Le lieutenant de police, arraché à son sommeil, se leva en fort méchante humeur.

Néanmoins il donna l'ordre d'introduire le président dans son cabinet.

Puis il l'y rejoignit, et après les salutations d'usage, bâillant encore et s'étirant, il demanda au président si le feu était aux quatre coins de Paris.

– Non, monsieur, répondit sèchement Boisfleury, mais il s'y commet des crimes que vous devriez empêcher.

Et il raconta tout d'une haleine au lieutenant de police l'histoire du margrave qui mettait sa main au concours, grisait les gens et les faisait porter ivres-morts dans les rues, et celle du marquis de la Roche-Maubert, qui avait disparu.

Le lieutenant l'écouta jusqu'au bout.

Puis, quand il eut fini :

– Je crois bien, monsieur le président, lui dit-il, que vous vous êtes mis de gaîté de cœur une méchante affaire sur les bras.

– Hem ? fit Boisfleury.

– Et si vous vous mêlez de tout cela, vous courez risque de vous brouiller avec un grand personnage.

– Plaît-il ? exclama Boisfleury, stupéfait.

– C'est comme j'ai l'honneur de vous le dire, répéta tranquillement le lieutenant de police.

Et il se leva, comme s'il eût voulu que Boisfleury en fît autant et ne poussât pas plus loin ses questions.

Mais l'austère président demeura campé sur son siège.

– Monsieur, dit-il, je ne connais personne, en France qui soit placé plus haut que la justice, et je vous somme de vous expliquer.

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