Qu’était devenu M. Agénor de Morlux ? Depuis quatre jours qu’il était libre, Rocambole le cherchait vainement. On se souvient que ce dernier lui avait dit en le quittant :
– Allez chez votre père et dites-lui que si on ne retrouve pas Antoinette, vous vous brûlez la cervelle.
On avait retrouvé Antoinette, mais à son tour Agénor avait disparu. Rocambole avait mis en campagne tous les gens dont il pouvait disposer. Aucun n’avait pu lui rapporter des nouvelles d’Agénor. Depuis longtemps, pour tous ses amis du club des Asperges, même pour M. de Mauléon, l’existence d’Agénor était un mystère.
Mais depuis huit jours, le mystère avait pris les proportions d’une énigme, car on ne l’avait revu nulle part. Nous allons vous dire ce qui lui était arrivé. Vanda avait touché juste lorsqu’elle avait dit à Rocambole que bien certainement Timoléon avait dû s’occuper d’Agénor. En effet, tandis que la police, mise en éveil, surprenait le major Avatar au moment où, de retour à Passy, il rejoignait Vanda et Madeleine à la villa Saïd, Timoléon surveillait et faisait surveiller la petite maison de Passy. Agénor n’avait pas perdu de temps. Il était monté dans une voiture de place, disant au cocher :
– Rue de l’Université !
La voiture était descendue vers le Trocadéro. Comme elle arrivait à la hauteur du pont de l’Alma, une autre voiture l’avait croisée. De cette voiture partaient des cris déchirants. En même temps, le cocher faisait des signes de détresse et un homme à cheveux blancs passait la tête à la portière et criait au secours. Agénor s’était arrêté. Il avait sauté en bas de son fiacre et couru vers le vieillard. Celui-ci avait dit :
– Monsieur, au nom du ciel ! qui que vous soyez… venez à mon aide !
Agénor avait pu voir alors dans la voiture une jeune femme se tordant dans des spasmes nerveux.
– C’est ma fille, disait le vieillard.
La jeune femme, qui parut fort belle à Agénor, poussait des cris affreux, se tordait, grinçait des dents et semblait en proie à ce terrible mal qu’on nomme l’épilepsie. Quelque hâte qu’il eût d’arriver chez son père, quelque angoisse que la disparition d’Antoinette lui eût mise au cœur, Agénor ne pouvait abandonner ce vieillard et cette femme dans une pareille circonstance.
– Monsieur, lui dit le vieillard, je me nomme le colonel Guépin. Cette malheureuse est ma fille ; voici trois ans qu’elle est atteinte de cette horrible maladie. Nous sortions de chez nous, car je demeure là, tout près d’ici, dans la rue de Chaillot. Son accès l’a prise subitement, et quand elle est dans de pareils états, elle ne parle de rien moins que de se tuer. En effet, Mlle Guépin, notre ancienne connaissance, car c’était bien elle, vociférait :
– Je veux me tuer ! je veux mourir !
– Monsieur, dit Agénor, je ne puis pas vous abandonner en cette situation. Je vais vous aider à reconduire votre fille chez vous.
Et il était monté sans défiance dans la voiture du vieillard, enjoignant à son propre cocher de l’attendre sur le quai. À peine était-il monté que Mlle Guépin avait paru se calmer peu à peu. La belle brune qui faisait le charme des tables d’hôte aux Batignolles, avait cessé d’écumer. Puis son œil avait perdu peu à peu son expression d’égarement. Puis encore, paraissant revenir à elle, elle avait regardé Agénor avec étonnement.
– Monsieur, avait dit alors le colonel Guépin, comment pourrais-je vous témoigner toute ma reconnaissance ?
Agénor n’avait pas répondu. Agénor était pressé d’arriver rue de Chaillot, au domicile dudit colonel, et de l’y laisser avec sa fille. Agénor songeait à Antoinette, et des tempêtes bouillonnaient dans son cœur. La voiture s’arrêta. Agénor descendit le premier et se vit à la porte d’une petite maison qui n’avait qu’un rez-de-chaussée et un premier étage.
– C’est là, dit le colonel.
Mais comme Agénor saluait et s’apprêtait à s’éloigner, Mlle Guépin tourna de nouveau les yeux et jeta un nouveau cri.
– Ah ! mon Dieu ! s’écria le colonel éperdu, ça va la reprendre… et les domestiques sont sortis… et nous sommes seuls…
Agénor ne pouvait plus s’en aller. Il prit Mlle Guépin dans ses bras, tandis que le colonel payait le cocher, et le renvoyait. Le colonel tira un passe-partout de sa poche et l’introduisit dans la serrure. La porte s’ouvrit. Le colonel passa le premier. Agénor, portant toujours Mlle Guépin qui se débattait, entra après lui. Il se trouvait dans un petit vestibule humide et froid et dont les murs étaient çà et là couverts de poussière et de toiles d’araignées. Si Agénor eût été plus maître de lui, moins préoccupé et moins ému, cela l’eût frappé. Ce vestibule était celui d’une maison qui n’avait pas été habitée depuis longtemps. Le colonel ouvrit une seconde porte. Celle-là donnait sur un corridor. À peine cette porte fut-elle ouverte, que Mlle Guépin, qui était une vigoureuse fille, se dégagea des bras d’Agénor et s’élança dans le corridor, en criant :
– Je souffre trop, je vais me jeter dans le puits.
– Ah ! mon Dieu ! exclama le colonel.
Mais déjà Agénor s’était élancé après Mlle Guépin. Le corridor aboutissait, non pas à un puits, mais à une chambre toute noire dans laquelle Mlle Guépin entra en courant. Agénor y pénétra après elle et se trouva plongé dans l’obscurité. Mais il avait eu le temps de saisir Mlle Guépin par la taille. Et au moment où il croyait l’arracher à un grand danger et l’empêcher de se jeter dans quelque abîme, la vigoureuse fille du colonel se retourna, lui jeta ses bras autour du cou et l’étreignit fortement. Le colonel arrivait par-derrière. Ce fut l’affaire d’une seconde. Agénor, surpris, plongé dans l’obscurité, fut renversé, terrassé, maintenu à terre par le père et la fille, qui, en un tour de main, le bâillonnèrent et le garrottèrent.
– Tâche de retrouver Antoinette, maintenant, ricana Mlle Guépin.