Rocambole était fort élégamment vêtu et il réalisait assez bien le type d’un brigand d’opéra-comique chéri des dames.
– Madame, dit-il à Vasilika, vous plaît-il de m’écouter un moment.
Sa voix avait retrouvé ce timbre caressant qui charmait et n’était pas pour peu de chose dans ce pouvoir de fascination que tant de gens avaient subi autour de lui.
– Parlez, lui dit Vasilika.
Et comme si elle se fût trouvée en présence d’un homme du vrai monde, elle lui indiqua un siège. Mais Rocambole refusa en souriant et demeura debout.
– Un soir, madame, reprit-il, chez la comtesse Artoff on vous a dit mon histoire ; je n’ai donc rien à vous apprendre.
– Absolument rien, dit Vasilika.
– Les circonstances m’ont jeté sur votre route et nous ont fait ennemis. Mais je puis me justifier d’un mot. Au bagne, où j’ai longtemps souffert, j’ai trouvé un ami…
Vasilika l’interrompit d’un geste.
– Je sais le reste, dit-elle. Cet ami se nomme Milon… il aime Madeleine comme son enfant. Vous aimez Milon, et vous avez assuré le bonheur de Madeleine.
– J’ai fait mon possible, du moins.
Puis Rocambole ajouta :
– Je viens vous proposer la paix.
– À moi ?
Et Vasilika eut un rire moqueur.
– À vous, madame.
– À quelles conditions, mon Dieu !
Il parut hésiter un moment, puis faire un violent effort sur lui-même.
– Croyez-vous, dit-il, que dix années de bagne puissent jamais s’oublier ? Eh bien ! c’est la comtesse Artoff, c’est la Baccarat qui m’a envoyé au bagne !
– Et vous la haïssez ?
– De toute mon âme.
– Et vous pensez que je pourrais bien la haïr aussi ?
– Peut-être…
Vasilika regardait attentivement Rocambole, et son regard semblait vouloir plonger jusqu’au fond de son âme au travers de ce masque impassible.
– Eh bien ! troc pour troc, dit-elle. Si vous voulez de mon alliance, livrez-moi Yvan.
Rocambole secoua la tête.
– Impossible ! dit-il.
– Pourquoi ?
Et elle le regarda plus fixement encore, ajoutant :
– Votre affection pour Milon est donc plus grande que votre haine ?
– Non.
– Vous craignez donc de briser le cœur de cette chère Madeleine ?
Rocambole ne sourcilla pas :
– Non, dit-il, sans que sa voix s’altérât.
– Alors, reprit Vasilika, expliquez-vous.
Et elle continua à lui sourire. Cette fois Rocambole s’assit. Non plus dans le fauteuil que Vasilika lui avait indiqué d’un geste, mais sur le bord du divan à la turque sur lequel Vasilika était à demi couchée. La belle Russe ne se fâcha point ; elle ne protesta ni par un geste ni par un mouvement de ses sourcils olympiens contre l’audace de cet homme qui avait porté la livrée du bagne. Elle demeura même souriante et calme, semblable à la panthère qui se chauffe au soleil, étend voluptueusement ses membres flexibles et les yeux à demi fermés contemple la proie sur laquelle elle va bondir.
– Vous me demandez pourquoi je ne veux pas vous livrer Yvan ? reprit-il.
– Oui, puisque le bonheur ou le malheur de Madeleine vous est indifférent.
– Parce que vous l’aimez peut-être encore…
– Bah ? que vous importe ?
– Savez-vous, dit-il, que la perversité attire la perversité, qu’une nature effroyablement et splendidement mauvaise comme la vôtre attire une nature comme la mienne.
– Vraiment ? dit-elle.
Et le sourire n’abandonna point ses lèvres.
– Oui, continua Rocambole, on ne peut pas lutter impunément avec une femme comme vous.
Il osa lui prendre la main. Elle ne la retira pas.
– Vous êtes assez grande dame, poursuivit-il, pour tout comprendre. En vous haïssant, je vous eu aimée… Ce matin, j’ai ordonné à Milon de vous tuer, et quand on me l’a rapporté à demi mort et que j’ai su que vous étiez vivante, j’ai failli m’évanouir…
Vasilika ne répondit pas.
– Je vous aime, poursuivit Rocambole, en vertu de cette loi fatale qui veut que le mal attire le mal. Je vous aime parce que vous avez un cœur de démon dans le corps d’un ange ; parce que vous êtes perverse, parce que vous êtes belle… parce que nous sommes faits pour nous comprendre…
Et Rocambole, alors, se mit à parler le langage vertigineux de la passion. Et il se mit aux genoux de la comtesse et lui baisa les mains avec transport. Et elle continua à sourire et se laissa ganter de baisers. Cet homme qui avait joué tant de rôles en sa vie, n’avait peut-être jamais été meilleur comédien. Il eut des cris du cœur, des élans de passion, des tendresses infinies, des sourires à damner une sainte. Il fut splendide d’audace et de grâce ingénue tour à tour. Et Vasilika l’écoutait toujours, et elle lui dit :
– Savez-vous que vous êtes vraiment beau ?
– Je vous aime… répondit-il.
Puis, se levant tout à coup et la prenant dans ses bras :
– Sais-tu, dit-il, que j’ai tout préparé pour notre fuite ?… Nous partons ce soir, tout à l’heure… Je t’enlève, ô ma reine !… Une chaise de poste nous attend…
– Pourquoi partir ? dit-elle d’un ton de reproche. Ne pouvons-nous donc nous aimer ici ?
– Ici ?… oh ! non… Plus tard, nous reviendrons… Mais je veux être seul avec toi… je veux t’arracher au monde entier… je veux…
– Ce que tu veux, je le veux, dit-elle.
Rocambole jeta un cri de joie.
– Prends un châle, un manteau de voyage, dit-il, et partons…
Mais un éclat de rire lui répondit, et il recula d’un pas. Vasilika s’était échappée de ses bras.
– Mon doux seigneur, lui dit-elle, vous parlez d’amour comme don Juan lui-même, mais je ne vous crois pas.
– Pourquoi donc ne me crois-tu pas ? dit-il.
– Parce que ce n’est pas moi que tu aimes, mon beau séducteur.
Et sa voix devint railleuse et sifflante. On eût dit la lame flexible d’une épée battant l’air.
– Oh ! fit-il encore.
– La femme que tu aimes, je vais te dire son nom, continua Vasilika.
Il crut qu’elle faisait allusion à Vanda.
– Celle-là, dit-il, je ne l’aime plus.
– Je ne parle pas de Vanda, dit-elle.
Rocambole tressaillit.
– Et de qui donc ? dit-il.
– De Madeleine, répondit-elle ; et cet amour c’est ton châtiment ; c’est la moitié de ma vengeance.
Une pâleur livide se répandit sur le visage de Rocambole. Vasilika lui dit encore :
– Seulement, tu avais besoin de me tromper encore, et tu es venu me parler d’amour, à moi que tu redoutes… à moi qui te hais !…
Rocambole répliqua froidement :
– Vous êtes plus forte que je ne croyais, madame, mais votre force devient votre faiblesse.
– Tu crois ?
– Oui, parce que je vais être obligé de vous tuer.
Et il se rua sur elle, et Vasilika vit briller la lame d’un poignard qu’il tenait à la main.
– Grâce ! dit-elle.
Cette fois, sa voix trahissait son épouvante. Elle avait lu son arrêt de mort dans les yeux de Rocambole.
– Grâce ! fit-il en ricanant. Vous ne le pensez pas… Je ne suis pas Milon, moi…
Mais les dents de Vasilika claquaient. Elle était tombée à genoux ; elle joignait les mains, elle demandait la vie, balbutiant :
– Je renonce à me venger… je partirai… ce soir… tout de suite… mais grâce !…
– Non, dit Rocambole.
Elle se traîna à ses genoux.
– Je ne veux pas que vous mourriez sans vous repentir, dit-il. Je vous donne cinq minutes pour prier… Mais ne criez pas, ou je frappe tout de suite.
Tout à coup une pensée rapide éclaira son cerveau.
– Le sang me répugne, dit-il ; voulez-vous vivre ?
Elle était à genoux ; elle se releva d’un bond.
– Vivre ! dit-elle ; vivre !… Que faut-il faire ?
– Il faut être morte pour cinq jours.
Et comme elle le regardait avec égarement.
– Dans cinq jours, poursuivit-il, Yvan et Madeleine seront mariés, heureux, et ils auront quitté Paris. Ils ne vous craindront plus. Il faut donc que pendant cinq jours vous soyez supprimée de ce monde.
– Je ne comprends pas, balbutia-t-elle.
Il avait une bague au doigt. Il en dévissa le chaton :
– Puisque vous savez mon histoire, dit-il, vous devez savoir comment j’ai sauvé Antoinette de Saint-Lazare.
– Oui.
– Eh bien ! avalez ce grain noirâtre… là… sur-le-champ… ou je fais de votre sein le fourreau de ce poignard.
– Démon ! murmura Vasilika, tu le ferais comme tu le dis.
Et elle avala le grain noirâtre que lui tendit Rocambole ; et soudain elle tomba à la renverse. Elle paraissait foudroyée… Rocambole respira alors et murmura :
– Elle ne me gênera plus.
Puis il ouvrit la croisée de son boudoir, sauta dans le jardin et disparut.