XXV

– Madame, répéta Beruto, n’entrez pas.

– Bah ! dit la comtesse avec calme, nous allons voir.

Et elle s’approcha du guichet.

– Hé ! cousin ? fit-elle.

Yvan répondit :

– Que voulez-vous ? venez-vous contempler votre œuvre, madame ?

– Non, je viens vous voir et causer avec vous.

La voix de Vasilika était fort calme ; elle avait même une légère inflexion railleuse. En même temps elle dit à Beruto :

– Ouvre-moi donc. On cause mal à travers un guichet.

Yvan fut pris d’un accès de rage folle :

– Oh ! prenez garde ! dit-il. Si vous supprimez cette porte qu’il y a entre vous et moi…

– Eh bien ? fit-elle.

– Eh bien ! je me jetterai sur vous… et…

– Et, dit-elle froidement, vous trouverez les six canons de ce revolver. En même temps elle prit à sa ceinture un mignon pistolet à crosse d’ivoire, un chef-d’œuvre du colonel Kolt, l’habile arquebusier américain. Puis elle ajouta, se tournant vers Beruto :

– Mais ouvre donc !

L’Italien obéit.

– Reculez un peu, mon cousin, dit Vasilika.

Et elle allongea le poignet. Yvan n’avait pas peur de la mort ; mais mourir ainsi, sans explication, par ce seul fait qu’il essaierait de se jeter sur cette femme au pouvoir de laquelle il était tombé, lui parut bête. Il recula donc jusqu’au mur qui faisait face à la porte, et alla se heurter au squelette.

– Voilà, dit Vasilika d’un ton moqueur, une chose de sinistre augure. Et elle demeura sur le seuil du cachot. Elle était séparée d’Yvan par une distance de huit ou dix pieds. Distance qui pouvait être comblée par les six coups de revolver. Cette arme mignonne tenait Yvan en respect.

– Madame, dit-il, est-ce une explication que vous m’apportez ?

– Peut-être, dit-elle.

– Alors, parlez… Pourquoi suis-je ici ?

– Mais, dit Vasilika, parce que vous m’avez humiliée et blessée au cœur. Je me venge !

Yvan tressaillit.

– Vous m’aimiez donc ? fit-il.

– Autant que je vous hais maintenant.

– Et vous vous vengez ?

– Regardez ce squelette, dit-elle.

– Me réservez-vous donc le même sort ? demanda Yvan avec ironie.

– Non, ce bonhomme est mort de faim, paraît-il ; et jusqu’à présent on vous a apporté à manger.

– Vous êtes trop bonne, ricana Yvan.

– Et puis, dit Vasilika, rassurez-vous, votre captivité ne sera pas éternelle.

– Ah ! vraiment ?

– Seulement, reprit Vasilika, si vous étiez libre en ce moment, vous me gêneriez peut-être beaucoup.

– En vérité !

Et Yvan avait remplacé sa colère par une froide ironie.

– Vous savez que je me marie ? reprit Vasilika.

– Bah ! avec qui ?

– Avec le comte Kouroff.

Yvan eut un rire dédaigneux et s’appuya au mur avec une attitude insolente :

– Ne croyez-vous pas, dit-il, que je pourrais m’y opposer ? Ah ! chère comtesse, dit-il, vous pouvez me laisser sortir tout de suite. Soyez tranquille…

Et il riait à se tordre. Mais Vasilika, d’un mot, souffla sur sa gaieté :

– Je sais bien, dit-elle, que vous n’empêcheriez pas mon mariage.

– Oh ! non, certes.

– Mais vous feriez tous vos efforts pour en empêcher un autre.

– Lequel ? demanda-t-il en tressaillant.

– Celui de Madeleine.

Yvan jeta un cri et fit un pas vers la comtesse.

– Gare au revolver ! dit-elle.

Yvan s’arrêta.

– Madeleine ! dit-il, Madeleine se marie ?

– Sans doute.

– Vous mentez !

– Mais non… et vous êtes un homme sans éducation de me parler ainsi, fit-elle avec hauteur. Madeleine se marie dans huit jours, et c’est pour vous annoncer son mariage que je suis ici.

Yvan était devenu très pâle ; sa colère était tombée ainsi que son ironie. Il leva sur la comtesse un œil hagard et semblait se demander si cette femme ne mentait pas. Vasilika reprit :

– Mon cher cousin, Madeleine ne se marie peut-être pas de gaieté de cœur…

Ces mots lui arrachèrent un cri de joie :

– Ah ! dit-il, vous l’avez fait tomber dans quelque guet-apens infâme !

– Mais non, je vous jure !

– Madeleine m’aime…

– Elle vous aimait un peu, du moins.

Yvan demanda d’une voix sourde :

– Oseriez-vous donc prétendre qu’elle ne m’aime plus ?

– Elle cherche à vous oublier, du moins.

– Pourquoi ? quel est mon crime ?

– Votre crime est bien simple, dit Vasilika avec calme. Vous êtes russe, et tous les Russes, aux yeux des Français et des Françaises, sont fabuleusement riches.

– Eh bien ?

– Une petite maîtresse de français comme Madeleine bercée de vous épouser, rêvant d’une grande situation de fortune et d’aristocratie, pouvait-elle ne pas vous aimer ?

– Après ? après ? fit Yvan avec anxiété.

– En arrivant à Paris, Madeleine a appris la vérité ; c’est-à-dire que votre famille est aux trois quarts ruinée… Et elle a réfléchi.

– Oh ! s’écria Yvan indigné, Madeleine est incapable de faire de tels calculs !

– Vous croyez ?

– J’en suis sûr.

– Eh bien ! je vous annonce pourtant son mariage.

– Avec qui ?

– Avec le vicomte Karle de Morlux.

– Le misérable ! s’écria Yvan qui comprit tout, ou du moins, crut tout comprendre.

Vasilika eut un sourire railleur :

– Cousin, dit-elle, voulez-vous voir Madeleine une dernière fois, avant qu’elle s’appelle la vicomtesse de Morlux ?

Yvan eut un cri de joie :

– Ah ! si je la revois, dit-il, je saurai bien empêcher ce mariage.

– Ceci est votre affaire et non la mienne.

Et Vasilika continua à rire.

– Comtesse, dit Yvan, vous êtes une vraie femme du Nord. Vous dégustez la vengeance comme on déguste du vieux vin.

– Peut-être…

– Mais si vous étiez généreuse…

– Eh bien ?

– Vous me tueriez tout de suite, dit Yvan.

– Non, dit Vasilika, je veux que vous revoyiez Madeleine.

– Dites-vous vrai ?

– Mais sans doute.

– Où est-elle donc ?

– À l’hôtel de Morlux.

– Chez lui !

– Mais sans doute.

– Et vous me laisserez sortir d’ici ?

– Foi de Vasilika Wasserenoff.

– Quand ?

– Ah ! dit la comtesse, il faut que vous sortiez d’ici comme vous y êtes entré.

– Je ne comprends pas.

– Vous y êtes entré endormi.

– Eh bien ?

– Vous sortirez de même plongé dans un sommeil léthargique.

En même temps, elle fit un signe à Beruto, témoin muet de cet entretien. Beruto s’en alla.

– Comtesse, dit Yvan, ne voulez-vous pas plutôt m’empoisonner ?

– Au nom de ma famille qui est la vôtre, je vous jure le contraire, dit-elle.

Beruto revint. Il portait un plateau sur lequel était un gobelet de bohème rempli d’un vin jaune comme de l’ambre.

– Offrez cela à M. Potenieff, Beruto, dit la comtesse.

Yvan hésitait encore.

– Mon cousin, dit Vasilika, si vous ne faites cela, vous ne reverrez jamais Madeleine.

Yvan tendit une main fiévreuse vers le plateau, prit le verre et le vida d’un trait. Mais il n’eut pas le temps de le rendre à Beruto. Le verre lui échappa des mains et se brisa. En même temps, Yvan tomba foudroyé.

– Maintenant, dit froidement la comtesse, il s’agit de trouver un maçon.

Et elle sortit du caveau, dans lequel gisait Yvan, froid et inanimé.

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