III

Le vieil Hassan était sur sa porte.

Quand il me vit, un mouvement lui échappa.

Je mis un doigt sur mes lèvres.

Cela voulait dire :

– Observe-toi, je ne suis pas seul.

Mais les deux agents, qui paraissaient fort indifférents, remarquèrent ce signe.

Je passai auprès d’Hassan.

Le vieillard me regardait avec inquiétude.

Je levai ma main en l’air.

Ma main veuve de l’anneau du rajah.

En même temps, mon visage exprimait une vive douleur.

Hassan comprit qu’on m’avait volé l’anneau.

Il eut un léger clignement d’yeux, qui voulait dire :

– Sois tranquille, je n’obéirai qu’à toi. Et je passai mon chemin.

– Est-ce bien cette maison ? me demanda l’un des officiers de police.

– Hélas ! non, m’écriai-je, je me suis encore trompé ; la maison dans laquelle je suis entré hier soir ressemble bien à celle-ci, mais ce n’est pas elle !

Alors les deux agents se mirent à rire :

– Eh bien ! me dit l’un d’eux, je vais vous donner un bon conseil.

– Lequel ?

Et je le regardai avec étonnement.

– Renoncez à chercher votre portefeuille pour aujourd’hui, vous avez fait ce que vous vouliez.

Je tressaillis.

– Nous savons ce que nous voulions savoir… tout est pour le mieux.

Et comme je demeurais stupéfait, l’agent se tourna et fit un signe.

À ce signe un palanquin que deux nègres portaient derrière nous et qui nous suivait depuis quelque temps sans que j’eusse soupçonné qu’il m’était destiné, ce palanquin, dis-je, s’approcha.

– Vous devez être fatigué ? me dit l’agent d’un ton railleur. Montez !…

Et il écarta les rideaux du palanquin, qui était vide.

Ces paroles : « Nous savons ce que nous voulions savoir » m’avaient plongé dans une telle stupeur, que j’obéis machinalement à l’ordre qui m’était donné.

Les deux agents s’installèrent auprès de moi et je ne pus que balbutier :

– Vous me conduisez donc bien loin encore ?

– Assez loin, répondit l’un d’eux.

En même temps il tira un revolver et l’appuya sur ma poitrine :

– Nous vous savons un homme d’énergie, me dit-il, et nous avons besoin de prendre nos précautions. Vous êtes un homme mort si vous résistez.

L’autre avait soigneusement fermé les rideaux du palanquin.

Sur un signe que lui fit mon interlocuteur, il tira de sa poche un lacet de soie, et me lia les mains si solidement qu’il m’eût été impossible de me détacher.

– Maintenant, reprit celui qui m’adressait ordinairement la parole, nous pouvons continuer notre route tête à tête.

Et son compagnon descendit du palanquin après avoir échangé avec lui quelques mots que je ne pus pas comprendre.

Le palanquin traversa toute la ville noire et arriva aux portes de Calcutta.

Là il s’arrêta et je crus que nous étions arrivés. Je me trompais.

L’agent de police écarta les rideaux du palanquin et je pus vois alors que les nègres qui nous portaient étaient remplacés par des chevaux.

Le palanquin repartit.

Alors mon compagnon me dit en souriant :

– Vous nous avez, tout à l’heure, tirés d’un grand embarras.

– Que voulez-vous dire ? lui demandai-je.

– Je vais vous l’expliquer.

Et il eut un sourire ironique.

– Vous pensez bien, me dit-il, qu’on n’a jamais songé à vous accuser du meurtre du charmeur de serpents.

– Alors de quoi m’accuse-t-on ?

– On ne vous accuse pas, on s’assure de votre personne. Voilà tout.

– Pourquoi ?

– Mais parce que l’on ne veut pas que vous exécutiez certaine mission qui vous a été confiée par le rajah Osmany.

Je jetai un cri.

– Allons ! me dit mon compagnon, vous le voyez, Tippo-Runo est bien renseigné.

– Tippo-Runo est un traître ! m’écriai-je.

– Je ne dis pas non, répondit le faux agent de police, car je n’en pouvais douter maintenant, j’avais été le jouet de Tippo-Runo, et cet homme n’avait jamais appartenu à la police anglaise.

– Je ne dis pas non, reprit-il.

– Ah ! vous en convenez ?

– Attendez donc. Tippo-Runosavait que le rajah vous avait donné une mission.

– Oui, mais il ignore en quoi elle consiste.

– Vous vous trompez…

J’avais été pris une fois ; c’était le cas ou jamais de m’en souvenir et de jouer serré.

– Ah ! dis-je, il sait ce que j’ai promis au rajah ?

– Sans doute. Le rajah vous a donné sa bague.

– Bien.

– Cette bague, présentée à un homme qui se trouve à Calcutta, doit mettre celui qui en sera porteur en possession des trésors cachés du rajah.

Je demeurerai impassible.

Cet homme poursuivit :

– Malheureusement, il y avait une chose que ni Tippo-Runo ni nous tous qui le servons, ne savions.

– Laquelle ?

– Le nom et la demeure de l’homme à qui on doit représenter l’anneau.

– Et vous ne le saurez jamais ! m’écriai-je.

– Vous vous trompez.

– Ah !

– Nous le savons maintenant, grâce à votre imprudence. Cet homme, c’est le tailleur Hassan.

– Je ne sais ce que vous voulez dire, répliquai-je en haussant les épaules.

Il continua à sourire.

Une chose me rassurait pourtant, en dépit de l’effroi que j’éprouvais en songeant qu’on allait torturer Hassan, bouleverser sa maison, et chercher le trésor du rajah.

– Hassan, me dis-je, a compris. On le tuera, mais, il ne dira pas où est le trésor… Or, puisque l’homme aux mains de qui je suis ne me parle pas de l’enfant, c’est que Tippo-Runo ignore que le fils du rajah est ce même enfant qui passe pour celui du tailleur.

– Mais où me conduisez-vous ?

– Assez loin pour que Tippo-Runo ait le temps de s’emparer du trésor.

Je compris qu’il était inutile d’adresser à cet homme de nouvelles questions.

J’étais en son pouvoir, et ce que j’avais de mieux à faire était de rêver aux moyens de recouvrer ma liberté.

Nous voyageâmes tout le jour.

Vers le soir, le palanquin s’arrêta.

Alors l’agent de Tippo-Runo écarta de nouveau les rideaux du palanquin.

Nous étions au milieu d’une vaste plaine déserte, à la lisière d’une forêt.

Les nègres qui étaient montés sur les chevaux mirent pied à terre.

Mon compagnon me fit descendre et me dit d’un ton railleur :

– Vous devez avoir besoin de manger un peu. Nous voici au bord d’une forêt à travers laquelle il nous serait impossible de passer en palanquin. Suivez-moi.

J’avais les mains liées derrière le dos, et mon guide tenait toujours son revolver à la main.

Résister, c’est m’exposer à la mort, et la mort sans profit pour ceux que je voulais servir.

Je suivis donc cet homme.

Les deux nègres, après avoir attaché leurs chevaux à un arbre, marchaient derrière nous.

Nous entrâmes dans la forêt, nous cheminâmes environ une heure.

Le jour baissait et la nuit était proche.

Enfin nous arrivâmes à l’entrée d’une clairière, au milieu de laquelle on voyait un arbre gigantesque dont les rameaux eussent pu servir de toiture à une vaste maison.

Alors, je compris le sort qui m’attendait.

Cet arbre était un mancenillier, dont l’ombre donne la mort.

Quiconque passe une nuit sous cet arbre s’endort pour ne plus s’éveiller.

Et l’homme qui servait Tippo-Runo me dit avec son rire sinistre :

– Nous voici enfin arrivés !

Share on Twitter Share on Facebook