II

L’un des deux officiers de police me dit :

– Vous êtes l’homme qu’on appelle le major Avatar ?

– Oui, répondis-je.

– Veuillez nous suivre.

Pendant le cours de ma vie aventureuse, j’ai remarqué que la résistance à la police de n’importe quel pays n’est jamais couronnée de succès.

Le criminel qui se laisse arrêter et n’oppose aucune résistance a dix chances contre une de se tirer d’affaire.

L’innocent à qui advient pareille aventure, compromet souvent sa cause en s’indignant et se livrant à d’inutiles protestations.

Je savais si bien cela, que je me bornai à répondre :

– Gentlemen, je suis prêt à vous suivre : seulement veuillez me lâcher, car je suis un homme d’éducation et il n’est nul besoin avec moi de me prendre au collet.

Ils firent droit à ma requête.

– Pourrais-je vous demander, repris-je, où vous me conduisez ?

– Chez le chef de police du district.

– Savez-vous de quoi on m’accuse ?

– Nous l’ignorons.

Et l’un d’eux m’exhiba un mandat d’arrestation conçu en deux lignes et non motivé.

Calcutta est divisé en plusieurs districts ou quartiers, chacun des districts a un chef de police ou commissaire.

Je crus qu’on allait me conduire chez celui du voisinage.

Je fus donc un peu étonné de voir qu’on me faisait traverser la ville blanche tout entière et que nous nous dirigions vers la ville noire.

Mais cet étonnement n’eut rien que de joyeux.

– Ma bonne étoile, me disais-je, fera sans doute que nous passerons dans la rue où habite Hassan, le vieux tailleur, que nous pourrons échanger un signe d’intelligence et que je lui ferai comprendre qu’il doit se défier de quiconque lui montrera l’anneau du rajah.

Mon espérance grandissait à mesure que nous marchions, et je reconnaissais fort bien, le chemin que j’avais suivi en me rendant de la ville noire à l’hôtel de Batavia.

En route, l’un des officiers me dit :

– Cela vous étonne peut-être que je vous conduise ailleurs que chez le chef-justice du quartier où nous vous avons arrêté ?

– En effet, répondis-je.

– Je vais vous en dire la raison.

Je le regardai et j’attendis.

– Vous avez habité quelques jours la ville noire ?

– Oui.

– Vous logiez à ce schoultry qui a pour enseigne : Au Serpent bleu ?

 Précisément.

– Eh bien ! on a sans doute porté plainte contre vous, car c’est le chef de police du quartier dans lequel se trouve le schoultry du Serpent bleu qui vous fait arrêter.

– Ah ! lui dis-je sans m’émouvoir.

– Je n’en répondrais pas, me dit l’autre agent, mais je crois bien que c’est relativement au meurtre du charmeur de serpents.

– Qu’est-ce que cela ? demandai-je.

– Il y avait dans le schoultry un charmeur de serpents qu’on a assassiné la nuit dernière.

– Vraiment ?

– Et peut-être vous accuse-t-on de ce meurtre ?

Je ne pus m’empêcher de sourire.

L’agent m’avait dit cela d’un air naïf, et cette naïveté, j’en conviens, me rendit tout à fait sa dupe. Jusque-là, je m’étais dit :

– C’est Tippo-Runo qui me fait arrêter.

À partir de ce moment, je pensai qu’il pouvait bien se faire que mon arrestation n’eût absolument rien de commun avec les événements de la nuit, et que les gens qui avaient mutilé mon pauvre Moussami ne fussent pour rien dans ma mésaventure.

S’il en était ainsi, il pouvait se faire aussi que je fusse relâché après un court interrogatoire. Alors, je m’empresserais de courir chez le vieil Hassan.

Mais, comme je savais par expérience les lenteurs et les hésitations de la justice anglaise, et que l’on pouvait aussi bien me garder plusieurs jours que me relâcher tout de suite, je fis ce raisonnement qui était fort juste en apparence :

– Il vaut mieux prévenir Hassan tout de suite.

Alors, je me plaignis d’avoir soif.

– Qu’à cela ne tienne ! me dit l’un de mes gardiens. Voulez-vous entrer dans ce schoultry boire un soda-water ?

– Volontiers, répondis-je.

Nous entrâmes dans un cabaret, et je me fis servir à boire.

Après quelques façons, les deux agents consentirent, à boire avec moi.

Ils étaient fort complaisants et ne paraissaient nullement pressés d’arriver chez le chef de police.

En même temps, la confiance que m’inspirait leur naïveté augmentait.

– Je ne suis pas coupable, leur dis-je, du crime qu’on m’impute.

– Oh ! nous le croyons sans peine, répondit l’un d’eux, car vous avez l’air d’un parfait gentleman.

Je saluai.

– Mais, reprit-il, nous avons reçu un ordre, et, à notre grand regret, il nous faut l’exécuter.

– Mais nous espérons, reprit l’autre, que tout s’arrangera à votre satisfaction, et que le chef de police vous mettra en liberté après vous avoir, fait des excuses.

– Je l’espère aussi, murmurai-je.

Puis, tout à coup, me frappant le front :

– Ah ! mon Dieu, dis-je, et mon portefeuille !

– Quel portefeuille ? demandèrent-ils tous deux.

– Le mien, celui qui renferme assez de papiers pour établir mon honorabilité.

– Eh bien ! ne l’avez-vous donc pas sur vous ?

– Non.

Et je donnai, en me palpant en tous sens, les marques d’un vif désespoir, ajoutant :

– Il renferme deux cents livres en banknotes, et j’en donnerais bien la moitié pour le retrouver.

Le policeman de Londres est peut-être incorruptible, mais celui de Calcutta me parut laisser à désirer sous ce rapport, car il me sembla que mes deux gardiens échangeaient un regard cupide.

– Vous ne sauriez l’avoir perdu en route, me dit l’un.

– Vous l’aurez laissé à votre hôtel, répondit l’autre.

– Non, dis-je. Je crois me souvenir, maintenant.

– Ah !

– Hier soir, je suis venu me promener ici, à la seule fin de courir aventure et de rencontrer quelque bayadère en quête d’un bol de thé. Hé ! mais, je ne me trompe pas, c’est dans une rue que nous avons suivie tout à l’heure, que j’ai été accosté par une Irlandaise.

Il y a des Irlandaises partout, même dans l’Inde.

– Elle vous aura volé votre portefeuille, sans doute. Et ils échangèrent un nouveau regard, celui-là tout triste et tout contrit.

– Ce n’est pas cela, repris-je.

– Ah ! vraiment ?

– L’Irlandaise m’a conduit en sa maison, et mon portefeuille sera tombé derrière quelque meuble.

– C’est bien possible.

– Il est possible aussi, ajoutai-je, qu’elle ne s’en soit pas aperçue.

– Mais où est la maison de cette Irlandaise ?

– Dans une rue dont j’ignore le nom.

– Et dans ce quartier ?

– Oh ! certainement.

– Vous reconnaîtriez la rue ?

– Oui.

Les deux agents parurent se consulter.

Enfin, le premier me dit :

– Le chef-justice attendra bien un quart d’heure de plus. D’ailleurs, c’est son métier. Cherchons donc votre portefeuille.

Je jetai une demi-couronne sur la table pour payer les soda-water et nous sortîmes.

D’abord, j’eus l’air de me reconnaître ; puis, je fis quelques pas en avant, puis en arrière.

Tantôt, je prenais une rue et je revenais ensuite sur mes pas.

Les deux agents me suivaient avec une patience évangélique.

Enfin, je m’écriai :

– Ah ! je reconnais la rue… c’est celle qui traverse… là-bas… voyez-vous ?

– Oui, me dirent-ils. Eh bien ! allons !

J’avais assez bien joué mon rôle pour mettre en défaut la vigilance de mes deux gardiens.

– Oui, oui, répétai-je, c’est bien là.

J’avais aperçu le vieil Hassan assis, les jambes croisées, sur le seuil de sa boutique.

– Où est la maison ? me demanda l’un des policemen.

– Je crois que c’est la quatrième à gauche.

Et j’indiquais celle qui se trouvait à côté de la boutique du tailleur.

– Eh bien ! allons ! me dit-il.

Et nous pressâmes tous trois le pas.

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