VII

Deux jours après nous étions à Calcutta. En traitant son baume de merveilleux, Nadir n’avait point menti.

Mes blessures étaient cicatrisées et je ne souffrais presque plus.

Le sentiment du devoir à remplir avait peut-être aussi, en me rendant toute mon énergie, hâté ma guérison.

Nadir me dit, comme nous franchissions les portes de la ville :

– Je ne te quitterai pas ; et tu peux être certain que, moi à tes côtés, Tippo-Runo, si puissant qu’il soit, ne pourra rien contre toi.

– Je te crois, lui dis-je ; car j’avais en lui une confiance sans bornes.

– Où veux-tu aller ? me dit-il encore.

– Chez Hassan le tailleur.

– Bien, me dit-il, allons !

Et nous nous dirigeâmes vers la ville noire.

Bientôt nous arrivâmes dans la rue habitée par le vieux tailleur et j’eus un frisson d’espoir en le voyant assis comme à l’ordinaire, sur le seuil de la porte.

On lui aura présenté la bague d’Osmany, me dis-je, mais il avait compris mon signe, et il n’aura rien voulu révéler.

Je m’approchai.

Hassan leva la tête et me regarda d’un air indifférent.

– Ne me reconnais-tu donc pas ? lui dis-je.

Il secoua la tête et continua à me regarder avec une sorte d’hébétement.

– C’est moi qui suis déjà venu, continuai-je.

– Je ne sais pas, fit-il.

– De la part d’Osmany.

Ce nom le fit tressaillir.

Puis un large sourire épanouit ses lèvres et il leva une main vers le ciel. Ceci voulait dire :

– Osmany est mort… il est là haut !

– Cet homme est fou, me dit Nadir.

Une jeune fille qui était au seuil de la maison voisine s’approcha de nous.

– Est-ce que vous êtes les parents ou les amis de ce pauvre homme ? nous demanda-t-elle.

– Oui, répondit Nadir.

– Vous ne savez donc pas ce qui lui est arrivé ?

– Hélas ! non, dis-je à mon tour.

– Je vais vous le dire, moi, reprit la jeune fille.

Avant-hier soir, comme la nuit était venue, une troupe de soldats a cerné la maison.

Hassan étonné est sorti.

Les soldats se sont emparés de lui. En même temps celui qui les commandait lui a montré une bague qu’il avait au doigt.

Hassan a regardé la bague avec étonnement et a dit qu’il ne savait pas ce que cela signifiait.

Alors les soldats sont entrés dans la maison et s’y sont enfermés avec lui.

Hassan s’est mis à crier.

Nous tous, les voisins, accourus au seuil de nos portes, nous l’entendions qui disait :

– « Je suis un pauvre tailleur… je n’ai jamais eu de trésors… je ne sais pas ce que vous voulez dire…

Et les soldats répondaient :

– Si tu ne parles pas, tu mourras !

– Tuez-moi donc tout de suite, au lieu de me faire souffrir, disait-il d’une voix lamentable. Mahomet, quand je serai mort, m’ouvrira les portes du paradis, car je suis un fidèle croyant.

Mais au lieu de le tuer, les soldats ont allumé un si grand feu que la maison flamboyait par toutes les ouvertures.

Alors Hassan a crié plus fort, puis il s’est mis à chanter, preuve que le délire s’était emparé de lui.

Les soldats, sur l’ordre de leur chef, avaient mis ses jambes à nu et exposé ses pieds à la flamme du brasier qu’ils venaient d’allumer.

Quand il a été à demi mort, ils ont fouillé la maison de fond en comble, poursuivit la jeune fille.

Mais il paraît qu’ils n’ont pas trouvé de trésors.

À ces derniers mots de la jeune fille, je respirai bruyamment.

– Mais, lui dis-je, Hassan avait un fils.

– Oui.

– Qu’est-il devenu ?

– Les soldats l’ont emmené, et personne ne l’a revu depuis lors.

– Misérable Tippo-Runo ! murmurai-je à l’oreille de Nadir.

– À moins qu’il ne l’ait tué, me dit Nadir, nous le retrouverons.

Nous remerciâmes la jeune fille ; puis je pénétrai dans la maison en faisant signe à Nadir de me suivre.

Hassan, nous voyant entrer, témoigna une grande inquiétude.

Il se leva pour nous barrer le passage.

Mais il retomba presque aussitôt en poussant un cri de douleur.

Ses pieds brûlés n’étaient plus qu’une plaie et refusaient de supporter le poids de son corps.

Je le pris dans mes bras et je l’emportai.

Puis, sur un nouveau signe de moi, Nadir ferma la porte.

Hassan nous contemplait avec effroi.

On descendait dans la cave où se trouvait la cachette mystérieuse, en soulevant une trappe.

J’introduisis mon poignard dans la fente qui existait entre cette trappe et le plancher, et je la soulevai.

Alors Hassan se mit à rire, passant subitement de l’effroi à une hilarité bruyante.

Nadir alluma une lampe, et nous nous engageâmes dans l’escalier souterrain.

Hassan s’était traîné au bord de la trappe et continuait à rire.

Nous descendîmes dans la cave.

Là, une rapide inspection me donna la preuve que la pierre qui cachait la serrure du coffre de fer n’avait pas été déplacée.

Les soldats de Tippo n’avaient point découvert le coffre.

Alors je remontai, et comme Hassan riait toujours, je me jetai sur lui, lui arrachai son cafetan, et vis avec joie que la clef était toujours suspendue à son cou.

Il se débattit, mais je lui arrachai cette clef et je rejoignis Nadir.

Alors nous descellâmes la pierre et nous mîmes le secret à découvert.

Puis j’introduisis la clef dedans.

Mais j’eus beau la tourner et la retourner dans tous les sens.

La serrure ne s’ouvrit pas…

Hassan seul en connaissait le secret, – et Hassan était fou !

Je regardai Nadir d’un air désespéré.

– Aie confiance ! me dit-il, on m’appelle Nadir le Trouveur !

Et il eut un sourire qui ranima mon espoir ébranlé.

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