Partout où les Anglais sont, on retrouve les mœurs anglaises, les usages anglais et jusques aux constructions anglaises.
Calcutta a de certains quartiers qui rappellent Londres, et, jusque dans la ville noire, c’est-à-dire la ville indigène, le génie britannique a posé sa large griffe.
Ainsi, on a creusé des égouts sous les rues, et un large bassin de carénage traverse la ville du sud au nord, formant comme un port intérieur.
Ce bassin reçoit en même temps les immondices des égouts par des canaux souterrains qui viennent aboutir à fleur d’eau pendant la marée basse et dont la haute mer recouvre l’orifice.
Nadir savait cela sans doute.
Il marchait le premier dans ce souterrain qui s’ouvrait devant nous, et il m’avait pris des mains la lampe qu’il portait en avant de façon à éclairer notre route.
Le souterrain était assez haut de voûte pour que nous ne fussions pas obligés de nous baisser, mais trop étroit pour que nous puissions marcher tous les deux de front.
Nadir me dit :
– Je parie que nous allons trouver un égout.
– Comment, lui dis-je, il y en a sous la ville noire ?
– Sans doute.
– Où aboutissent-ils ?
– Au bassin de carénage.
Le souterrain suivait un plan incliné et tournait légèrement sur lui-même.
Au bout d’une vingtaine de pas, Nadir s’arrêta et posa la lampe à terre.
– Que faites-vous ? lui dis-je.
– Tu vas voir.
Nadir, comme tous les Indiens, avait toujours sur lui un lasso.
Les Fils de Sivah ne dédaignent pas d’étrangler, à leur heure, ni plus ni moins que les Thugs, leurs ennemis.
Le lasso de Nadir, qu’il portait roulé autour de sa poitrine, était long d’une quarantaine de mètres et composé de trois cordes superposées et tressées ensemble.
Ces cordes, dédoublées, donnaient donc une longueur d’environ cent vingt pieds.
Nadir se mit à les défaire et de son lasso, qui avait l’épaisseur du doigt, il fit une corde aussi mince qu’une mèche de fouet.
Après quoi, il en fixa une extrémité au manche de son poignard.
– Les égouts, me dit-il, ont des ramifications infinies et il se peut faire que nous rencontrions plusieurs voies.
Force nous est donc d’avoir un fil conducteur.
– Vous avez raison, répondis-je.
Nous nous remîmes en route, et bientôt nous atteignîmes un escalier qui s’enfonçait sous terre.
Nadir portait toujours sa corde enroulée au bout de son poignard.
– Tant que nous ne trouverons pas de bifurcation, me dit-il, le fil conducteur nous sera inutile.
L’escalier avait une trentaine de marches.
Lorsque nous eûmes atteint la dernière, nous nous retrouvâmes à l’entrée d’un nouveau boyau souterrain.
Alors, prêtant l’oreille, nous entendîmes un murmure sourd au-dessus de nos têtes.
– Sais-tu où nous sommes ? me dit Nadir.
– Non.
– Nous sommes sous le bassin de carénage.
Nous avançâmes encore, et bientôt, nous vîmes que le chemin se bifurquait.
Alors, Nadir planta son poignard en terre et il se mit à dérouler sa corde et nous nous engageâmes dans l’une des deux voies nouvelles qui s’ouvraient devant nous.
La corde se déroulait lentement et nous avancions toujours.
Le bruit devenait plus strident au-dessus de nos têtes et une légère humidité régnait sous nos pieds, en même temps que les parois du souterrain laissaient suinter quelques gouttes d’eau.
Je passai mon doigt dessus et je le portai ensuite à mes lèvres.
Cette eau était salée.
– Tu as raison, dis-je à Nadir.
Déjà la corde était usée aux trois quarts, lorsque nous trouvâmes un nouvel escalier.
Celui-là ne descendait pas ; il remontait.
En même temps, le bruit sourd, qui n’était autre que celui des vagues et qui, tout à l’heure, était au-dessus de nos têtes, se faisait maintenant entendre derrière nous.
Évidemment, nous étions parvenus sous la rive opposée.
Nous gravîmes l’escalier.
La corde nous accompagna jusqu’à la dernière marche.
Là, nous nous trouvâmes dans une sorte de chambre assez spacieuse, mais dont nous touchions la voûte avec la main.
Un autre bruit se fit au-dessus de nos têtes.
C’était celui d’un pas humain.
Cependant, la chambre était sans issue.
– Il est impossible que le chemin que nous avons suivi, me dit Nadir, ne mène pas plus loin.
Et il se prit à écouter.
Au bruit de pas se mêlait un bruit confus de voix qui nous arrivait à travers la voûte.
Alors Nadir me dit :
– Je vais monter sur tes épaules, prête-moi ton poignard.
Je le lui donnai et, me courbant, je le pris sur mon dos.
Nadir, avec le manche du poignard, attaqua la voûte qui était en maçonnerie et scellée au ciment.
Le ciment se détacha par fragments, et bientôt Nadir poussa un soupir de satisfaction.
Au lieu de la pierre, son poignard avait rencontré du bois et le ciment en tombant avait découvert une trappe hermétiquement fermée.
– Voilà le passage que nous cherchions, me dit-il.