IX

Le fou, après avoir ouvert la porte, voulut la refermer, mais je me mis en travers.

En même temps, Nadir s’empara de lui et le terrassa.

Il n’opposa, du reste, qu’une faible résistance.

– Et Nadir me dit alors :

– Tu penses bien que, si nous refermons cette porte, nous ne pourrons plus la rouvrir.

D’un autre côté, il est dangereux de laisser les choses dans cet état. Car Tippo-Runo, persuadé que cette maison renferme un trésor, doit avoir posté dans les environs des hommes chargés de la surveiller, et il ne se bornera certainement pas à la perquisition déjà faite.

– Sans doute, répondis-je, mais comment faire ?

Nadir réfléchit un moment et me dit :

– J’ai des hommes dévoués autour de moi, mais encore faut-il le temps de les réunir.

– Et ces hommes réunis, tu leur confieras la garde de cette maison ?

– Non, mais je leur ferai déménager tout cet or et toutes ces pierreries.

– Où les transporterons-nous ?

– Attends, pour que je te réponde, me dit-il, que nous nous soyons débarrassés de cet homme qui nous assourdit de ses cris.

En effet, Hassan, étendu sur le dos, dans un coin de la cave, ne se relevait pas ; mais il gesticulait, riait et pleurait.

Nadir remonta dans la maison et revint peu après, tenant une pipe à la main.

Il avait mis dans cette pipe un grain d’opium et il la tendait à Hassan.

L’œil du vieux tailleur brilla de convoitise, il étendit une main avide, la saisit, en porta le tuyau à ses lèvres, et s’accroupissant comme tes Orientaux, il se mit à fumer.

Dès lors, il se tut ; quelques minutes après, il était en extase.

Alors, Nadir s’assit sur un tonneau et me dit :

– Écoute-moi bien. Les trésors que nous avons sous les yeux feraient la fortune d’un roi. Il faut que tu perdes l’espoir de les faire parvenir en Europe par les moyens ordinaires. La douane anglaise visite les navires. Elle confisquerait impitoyablement ces richesses.

– Il faut pourtant, répondis-je, que je tienne la promesse que j’ai faite à Osmany mourant.

– Sans doute.

– Et pour cela, il faut que j’emporte cet or en Europe.

Nadir secoua la tête :

– Va pour les pierreries, dit-il, mais quant à l’or, c’est inutile.

– Comment ?

– Laisse-moi d’abord te dire comment il te sera facile d’emporter les pierreries.

– Je vous écoute.

– Les Fils de Sivah, dont je suis le chef, sont aussi puissants, aussi riches que les Étrangleurs, leurs ennemis.

Comme eux, ils ont des affiliés parmi les Anglais, des coreligionnaires mystérieux, des agents sûrs qui se conforment aveuglément aux ordres qu’ils reçoivent.

– Bon !

– Parmi les hommes sur qui les Fils de Sivah peuvent compter, il se trouve un capitaine de navire anglais qui a nom Jonathan.

Jonathan est mon esclave dévoué.

Il part pour Londres dans huit jours, emportant une cargaison de grains de Bizance.

Les gens de la douane viendront, la veille de son départ, sonderont les tonnes et les scelleront.

C’est dans ces tonnes que je cacherai les pierreries du rajah.

– Comment ferez-vous ?

– Je substituerai à l’une des tonnes ordinaires une autre tonne dont toutes les douves seront creuses.

– Alors pourquoi ne pas emporter l’or par le même procédé ?

– Parce que l’or tient trop de place et que d’ailleurs il est plus lourd que les pierreries.

– Fort bien. Mais alors comment envoyer cet or en Europe ?

– Nous ne l’enverrons pas.

– Cependant…

– Nous le verserons dans le trésor de Sivah qui est caché au cœur même de Calcutta, et que les Anglais ne découvriront jamais.

En échange, poursuivit Nadir, je te donnerai un chèque d’une somme équivalente à celle que j’aurai reçue.

– Et ce chèque ?…

– Tu le présenteras à Londres à une maison de banque qui nous sert de correspondant.

– En vérité !

– Et il sera religieusement payé, acheva Nadir avec un accent de franchise qui ne me laissa plus aucun doute sur sa bonne foi et sa loyauté.

– Mais enfin, lui dis-je encore, il faut toujours emporter d’ici ces richesses.

– Oui, et c’est là la difficulté.

Puis, après un moment de réflexion, Nadir me dit :

– Il est impossible que tout cet or soit entré par la porte extérieure de la maison où nous sommes, sans éveiller l’attention de ceux qui avaient intérêt à observer Hassan.

– Ce n’est pas une raison.

– Pourquoi ?

– Parce que, il y a deux jours, Tippo-Runo ignorait encore le nom et la demeure du dépositaire.

– C’est possible, répliqua Nadir, mais la police anglaise veille…

– Ensuite, ajoutai-je, ces richesses ont été amoncelées peu à peu.

– Je ne dis pas non. Cependant j’ai la conviction que cette maison a une autre issue.

Et, ce disant, Nadir entra dans la cachette qui était assez vaste et assez spacieuse pour qu’un homme y pût faire quelques pas en long et en large et s’y tenir debout.

Il se mit alors à sonder les murs avec son poing et tout à coup un bruit sonore se fit.

– Il y a là un creux, me dit-il.

Il prit son poignard et se mit à gratter la maçonnerie. Bientôt une fente nous apparut et, avec cette fente, une autre pierre semblable à celle qui masquait à l’extérieur la serrure de la porte de fer. Nadir détacha cette pierre. Elle mit alors à découvert un verrou. L’Indien le fit jouer et, soudain, le fond de la cachette tourna sur des gonds invisibles, comme avait tourné la porte de fer avec son revêtement de maçonnerie.

Et alors, Nadir et moi, nous aperçûmes une ouverture noire et béante.

C’était un passage souterrain.

Où conduisait-il ?

C’était là ce qu’il fallait savoir sur l’heure.

Je me retournai vers Hassan.

Mais il était absorbé dans la contemplation du rêve opiacé.

Sois tranquille, me dit Nadir, il ne songera pas à refermer la porte. En route !

– Mais… où allons-nous ?

– Nous allons nous engager dans ce souterrain.

Et Nadir reprit la lampe que nous avions posée à terre.

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