Le premier moment de stupeur passé, Nadir et moi nous nous regardâmes, cherchant à nous rendre compte de ce qui était arrivé.
La cachette était entièrement vide.
Mais qui donc avait volé le trésor ?
Nadir me disait :
– Je suis sûr de la fidélité de Koureb : or, Koureb a disparu. Comment a-t-on deviné son secret ?
Voilà ce que nous ne saurons que lorsque nous apprendrons ce qu’il est devenu.
La porte de fer était fermée.
L’ouvrir ou la briser était chose impossible.
Nous revînmes donc sur nos pas ; et au bout d’une demi-heure de marche nous remontions dans la pagode.
La lampe à la main, Nadir en fit le tour.
Il sonda les coins et les recoins et acquit la conviction que Koureb n’y était pas.
Nous sortîmes.
La pagode était située dans un endroit assez isolé. Les quelques maisons qui l’entouraient étaient des cabanes de bambous habitées par des Indiens, la plupart Mahométans et ne se souciant point par conséquent du culte de Sivah.
L’Indien dort une partie du jour : aussi la nuit veille-t-il volontiers.
Nadir frappa à la porte de la maison qui se trouvait juste vis-à-vis de celle de la pagode, et elle s’ouvrit presque aussitôt.
Un vieillard parut et demanda ce qu’on lui voulait.
– De quelle religion es-tu ? lui demanda Nadir.
– Je crois à Dieu et à son prophète, répondit-il.
– Mais tu connais Koureb ?
– Voici vingt ans que nous nous souhaitons longue vie tous les jours. Les hommes doivent s’aimer entre eux.
– Eh bien ! sais-tu où il est ?
– Je l’ai vu aujourd’hui pour la dernière fois avant le coucher du soleil.
– Ah !
– Il était entré dans la pagode avec un homme aussi vieux que moi et que j’ai parfaitement reconnu pour le tailleur Hassan.
Je l’ai vu ressortir seul…
– Hassan est donc resté dans la pagode ?
– Oui.
– Et où est allé Koureb ?
– Je ne sais pas, mais il paraissait très agité.
Nadir me regarda :
– Il est évident, me dit-il, que Koureb, en ce moment-là, accourait chez moi me dire qu’il avait perdu mon amulette.
– Je le crois, comme vous.
– Et, continua Nadir, s’adressant au vieillard, n’as-tu vu personne entrer dans la pagode ?
– Oh ! si, vers les dix heures du soir, plusieurs hommes qui m’ont paru être des sectateurs de Sivah sont venus et sont entrés.
Puis ils ont refermé la porte, et puis après, ils ont éteint la lampe.
– Et combien de temps ces hommes sont-ils restés ?
– Mais, fit le vieillard avec étonnement, ils doivent y être encore.
– Tu ne les as pas vu sortir ?
– Non.
– C’est bizarre ! me dit Nadir. Cependant, je crois deviner.
– Ah !
– Tu sais que le souterrain se bifurque de l’autre côté du canal ?
– Oui.
– Eh bien ! les ravisseurs sont entrés par la pagode et s’en sont allés par l’autre voie souterraine.
– Tout cela, observai-je, ne nous dit pas ce que sont devenus Hassan et Koureb ?
– Hassan devait être ivre encore. Ils l’auront emporté sur leurs épaules.
– Et Koureb ?
– Nous retrouverons certainement ses traces dans la maison de Hassan.
Et, quittant le vieillard après lui avoir mis une pièce de monnaie dans la main, Nadir m’entraîna loin de la pagode.
Nous repassâmes le bassin de carénage et nous nous dirigeâmes vers la maison du tailleur.
Le jour commençait à poindre et la population de la ville noire se répandait dans les rues.
Nous retrouvâmes la jeune fille à qui, l’avant-veille, nous avions confié la clef de la maison.
– Je n’ai plus cette clef, nous dit-elle.
– À qui l’avez-vous remise ?
– À un vieillard qui est venu de votre part.
– Il est entré dans la maison ?
– Oui.
– En est-il ressorti ?
– Non.
Le mystère se compliquait.
– Mais, ajouta la jeune fille, plusieurs hommes sont venus peu après ?
– Et ces hommes ?
– Il m’a semblé reconnaître parmi eux celui qui commandait aux soldats qui ont emmené le fils de Hassan.
– Bon ! fit Nadir. Tippo-Runo, sans doute.
– Ils ont frappé à la porte et le vieillard leur a ouvert.
Un peu plus d’une heure après, acheva la jeune fille, ils sont ressortis et ont pris le chemin du canal.
– Et le vieillard ?
– Il est toujours dans la maison.
Nous frappâmes, la porte demeura close, mais nous entendîmes derrière, un ronflement sonore.
Nadir, je l’ai dit, était d’une force herculéenne. D’un coup d’épaule, il jeta cette porte par terre.
Nous aperçûmes alors Koureb étendu sur le sol et dormant.
Auprès de lui était la tasse qui avait contenu le breuvage que Nadir avait composé pour arracher à Hassan son secret.
Cette tasse dont Hassan n’avait bu qu’une partie du contenu était vide maintenant.
Et nous comprîmes tout, dès lors, Nadir et moi.
Tandis qu’il cherchait son amulette, Koureb, tourmenté par la soif, avait vidé la tasse et subi tout aussitôt la pernicieuse influence du breuvage.
Les gens de Tippo-Runo et Tippo peut-être lui-même, qui surveillaient activement la maison du tailleur, s’y étaient alors introduits et Koureb, qui n’était plus maître de sa raison, leur avait livré son secret.
Nadir me dit :
– Rien n’est désespéré encore. Et, à moins que Tippo-Runo n’ait quitté l’Inde, il rendra le trésor !