XXI

Le lendemain soir, comme une nuit épaisse s’étendait sur Calcutta, Nadir me dit :

– Tout est prêt ; partons !

Dans la journée, en effet, il avait pris centaines dispositions.

Un gentleman que je ne connaissais pas était venu rendre visite à sir Arthur Goldery.

Mais ce gentleman avait la peau bien foncée et les cheveux bien noirs pour un Anglais. Je l’avais tout de suite reconnu pour un Indien.

C’était un des mystérieux lieutenants de Nadir.

Celui-ci avait donné des ordres relatifs à l’enlèvement du trésor.

Quand nous fûmes en route, Nadir me dit :

– Une cange attend dans le bassin de carénage, à la hauteur du boyau souterrain que nous avons parcouru l’autre nuit.

Dans cette cange se trouvent une demi-douzaine d’Indiens qui m’obéissent.

Ils transporteront le trésor par petites charges jusqu’à la cange.

Alors l’embarcation descendra le bassin et accostera silencieusement le navire dont je te parlais et qui, bientôt, fera route vers l’Europe.

Nous sortîmes de la ville blanche et nous gagnâmes le schoultry situé dans la ville noire où Nadir s’était métamorphosé tout à coup à mes yeux en parfait gentleman.

Là, il redevint Indien, dans l’espace de quelques minutes.

Cela fait, nous prîmes le chemin de la pagode, où le vieux prêtre devait nous attendre.

En chemin, Nadir approcha de ses lèvres un petit sifflet dont il tira un son aigu.

À ce bruit, un Indien étendu dans la rue tout de son long et paraissant dormir, se leva et s’approcha de nous.

C’était le prétendu gentleman que j’avais vu dans la journée et qui, le soir venu, était redevenu Indien.

– Que tes hommes se rendent directement à la pagode.

L’Indien s’inclina et se perdit dans les ténèbres.

Quelques minutes après, nous arrivions à la porte de la pagode et Nadir s’arrêtait surpris, me disant :

– La lampe est éteinte ?

– Quelle lampe ?

– Celle qui doit brûler nuit et jour et dont on aperçoit ordinairement la lueur à travers l’ouverture pratiquée au-dessus de la porte.

Et Nadir, qui ne put se défendre d’une certaine émotion, appela :

– Koureb ? Koureb ?

Koureb ne répondit pas.

Nadir avait-une clef de la pagode, il la mit dans la serrure et la porte s’ouvrit.

La pagode était en effet plongée dans les ténèbres.

– Koureb ? Koureb ? répéta Nadir d’une voix irritée.

Même silence !

Nous nous procurâmes de la lumière et Nadir jeta un cri.

La dalle qui nous avait livré passage, cette dalle qui cachait la route secrète des trésors, avait été soulevée et le trou nous apparaissait béant.

– Trahis ! murmura Nadir, dont les cheveux se hérissaient.

Je jetai un cri à mon tour.

Puis je sautai à pieds joints dans cette espèce de chambre souterraine à laquelle aboutissait l’escalier qui descendait au boyau passant sous le bassin de carénage.

Nadir me suivit, une lampe à la main.

L’angoisse nous donnait des ailes, nous ne marchions pas, nous volions.

– Koureb ? Koureb ? répétait Nadir d’une voix tonnante.

Koureb ne répondait pas.

Nous arrivâmes ainsi jusqu’à la porte de fer derrière laquelle nous avions laissé le trésor.

Cette porte était fermée.

Nadir respira.

Cependant, s’étant baissé en approchant la lampe du sol, il fronça tout à coup le sourcil et murmura de nouveau le mot trahison.

– Regarde, me dit-il.

– Quoi donc ?

– Des traces de pas.

En effet le sol était foulé par des empreintes profondes qui semblaient attester que les hommes qui avaient passé par là étaient pesamment chargés.

Cependant la porte de fer était fermée.

Nadir se souvint alors que Koureb avait ouvert cette porte en faisant jouer un ressort presque imperceptible.

Puis il se mit à promener ses doigts sur la surface de la porte, cherchant, tâtonnant, ne trouvant rien et recommençant à chercher.

Tout à coup son doigt rencontra une toute petite aspérité.

Il appuya, l’aspérité parut disparaître.

En même temps, le bruit du verrou se fit entendre et la porte s’ouvrit toute grande.

Mais alors Nadir et moi nous reculâmes, la sueur au front, la gorge crispée par une émotion indicible.

Le trésor du rajah Osmany avait disparu !

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