Le chemin que me fit prendre Nadir était un étroit corridor pratiqué dans l’épaisseur du mur et qui aboutissait à un escalier tournant.
Tandis que nous marchions, Nadir me dit :
– Je n’ai pas eu le temps de redevenir sir Arthur Goldery, c’est pour cela que tu me vois revenir par ce passage que mes gens ne connaissent pas, et dont j’ai seul la clé.
Au bas de l’escalier nous trouvâmes le jardin et une allée de magnolias et de lotus gigantesques qui conduisait à une petite porte pratiquée dans le mur de clôture.
Nadir ouvrit cette porte et nous nous trouvâmes dans une rue de la ville blanche.
Là, Nadir s’arrêta un moment.
– Tippo s’embarque demain, me dit-il.
Je ne pus me défendre d’un tressaillement.
– Te rappelles-tu, poursuivit l’Indien, que la route souterraine qui conduit de la maison d’Hassan à la pagode se bifurque à un certain endroit ?
– Certainement, répondis-je.
– Celle que nous n’avons pas suivie aboutit au bassin de carénage, et se termine par une ouverture percée à fleur d’eau.
C’est par là que les trésors du rajah Osmany sont sortis.
– Et où sont-ils maintenant ?
– À bord d’un brick de commerce qui a longtemps fait la contrebande et dont la cale a un double fond.
– Et c’est demain qu’il part ?
– Oui, mais d’ici à demain…
Un sourire vint aux lèvres de Nadir.
– Viens toujours, me dit-il, tu verras…
Et il m’emmena vers la ville noire, dans le schoultry où, d’ordinaire, il quittait ses habits de gentleman pour redevenir Indien.
Là, il donna quelques ordres mystérieux et le maître du schoultry me fit signe de le suivre.
Il me conduisit dans la pièce la plus sombre de sa maison et étala devant moi des vêtements que je reconnus sur-le-champ pour être ceux d’un matelot malais.
Les Malais sont d’excellents marins et les bâtiments de commerce les emploient de préférence aux matelots indiens.
Seulement, et en dépit du soleil de l’Inde qui m’avait bruni, j’étais trop blanc encore pour pouvoir passer pour un Malais.
Mais l’hôte du schoultry m’apporta un petit bassin de cuivre dans lequel se trouvait un liquide noirâtre.
Et lorsque je fus tout nu, il se mit à m’éponger avec ce liquide, et soudain ma peau prit une belle teinte d’un brun acajou et devint luisante et lustrée comme une vraie peau de Malais.
Moins d’un quart d’heure après, revêtu du pantalon rayé, de la veste brune et du large chapeau de paille que le maître du schoultry m’avait donnés, je redescendais avec lui dans la grande salle, en plein air, où se réunissaient les buveurs de thé et les fumeurs d’opium.
Quand je l’avais quittée, elle était presque vide.
Maintenant, il s’y trouvait bien une trentaine d’hommes, parmi lesquels une demi-douzaine de Malais vêtus comme moi.
D’abord, je ne vis pas Nadir et je crus qu’il était parti. Mais un des Malais se mit à rire en me regardant, et je tressaillis sur-le-champ.
Ce Malais, c’était lui.
La même métamorphose s’était opérée chez Nadir.
J’allai m’asseoir auprès de lui, et-il se pencha à mon oreille :
– Tout cela t’étonne beaucoup, n’est-ce pas ? me dit-il.
– En effet, répondis-je. Et je ne sais pourquoi…
– Nous sommes vêtus tous deux en Malais ?
– Précisément.
– Je vais te le dire. L’équipage du navire de commerce sur lequel Tippo va s’embarquer, n’est pas complet.
– Ah !
– Le capitaine, qui est un vieil Anglais très dur au service et très âpre à l’argent, ne dédaigne point les Malais, parce qu’ils sont meilleurs matelots que les Indiens et qu’on les paye moins cher.
– Fort bien.
– Il va venir ici et nous embauchera tous.
– Comment, tous ?
Nadir me montra tous ceux qui étaient vêtus comme nous.
– Eh bien ? demandai-je, qu’est-ce que ces hommes ?
– Des gens qui me sont dévoués.
– Et qui se laisseront embaucher avec nous ?
– Oui.
– Je comprends…
Je n’eus pas le temps de demander à Nadir de nouvelles explications.
La porte du schoultry s’ouvrit et un homme entra.
C’était le capitaine anglais qui venait recruter sa bordée de bâbord.