Huit jours après nous eussions retrouvé Marmouset et Milon à Londres.
Tous deux, arrivés le matin par le premier train, étaient descendus dans la Cité, à l’hôtel de Hanovre.
Marmouset était vêtu avec la correcte élégance d’un parfait gentleman.
Milon passait pour son intendant.
Comment et pourquoi avaient-ils quitté Paris ?
C’est ce que nous allons vous dire.
Lorsqu’ils furent hors de ce souterrain qui s’étendait sous la mystérieuse villa de Saint-Mandé, il était nuit.
Milon dit à Marmouset :
– Voici les instructions du maître : nous irons à Paris, dans le petit hôtel de la rue Marignan.
– Bon ! fit Marmouset.
– Et demain nous partirons pour Londres.
– C’est là que le maître nous attend, sans doute ?
– Je ne sais pas. Il m’a commandé de descendre dans la cité, à l’hôtel de Hanovre. Voilà tout ce que je puis dire.
– Nous l’y trouverons sans doute, lui ou Vanda, dit Marmouset.
– Je ne sais pas, dit encore Milon.
Marmouset avait donc couché avenue Marignan.
Le lendemain, il était allé chez lui, où ses gens commençaient à s’inquiéter fort de son absence.
Il avait décacheté quelques lettres insignifiantes, écrit un mot au président du Club des Asperges, mis en ordre quelques affaires, et le soir, à cinq heures, il était à la gare du Nord, où il retrouvait Milon.
Le lendemain matin, ils arrivaient à Londres et descendaient à l’hôtel de Hanovre.
Là, Marmouset fut quelque peu étonné, quand il écrivit son nom sur les registres de l’hôtel, de voir que ce nom était accueilli avec la plus parfaite indifférence.
– Le maître n’est donc pas venu ici ? dit-il à Milon.
– Il paraît que non, répondit le colosse.
Ils attendirent toute la journée, n’osant sortir et espérant toujours que Rocambole viendrait.
Mais Rocambole ne vint pas.
Alors Marmouset dit à Milon :
– Tu vas attendre ici, moi, je vais courir la voie. Peut-être rencontrerai-je le maître.
Il fit sa toilette du soir avec un soin minutieux ; alla dîner au Club West-India, où il avait été présenté l’été précédent, et résolut de passer sa soirée au théâtre de Covent-Garden.
Il y avait foule ce soir-là.
Une étoile dramatique, la diva *** chantait la Muette de Portici.
Toute l’aristocratie anglaise était venue l’applaudir.
– Je trouverai certainement le maître ici, pensa Marmouset.
Et il entra.
Mais il eut beau promener sa lorgnette de loge en loge, nulle part il n’aperçut le major Avatar.
En face de lui, une loge était vide.
Le premier acte avait été joué tout entier, le second commençait et cette loge inhabitée contrastait singulièrement avec le reste de la salle qui était comble.
Marmouset eut une espérance.
– Le maître, se dit-il, a sans doute loué cette loge pour lui et Vanda, et ils vont venir.
Marmouset se trompait.
La porte s’ouvrit et un homme et une femme entrèrent.
Ce n’était pas Rocambole, ce n’était pas Vanda ; et cependant Marmouset étouffa un cri de surprise.
Cette femme qui souleva, en entrant, un murmure d’admiration, – c’était Roumia la bohémienne, ou plutôt la Belle Jardinière, plus étincelante, plus rayonnante de beauté et de jeunesse que jamais.
L’homme qu’elle accompagnait et sur le bras duquel elle s’appuyait avec une confiante sérénité, était de taille moyenne et entre deux âges.
Mis avec une distinction parfaite et une exquise simplicité, doué d’un grand air de noblesse, cet homme se trouva soudain le point de mire de toutes les lorgnettes, et parut se complaire dans ce rôle de curiosité qu’on lui faisait jouer.
Marmouset, qui parlait maintenant l’anglais avec une pureté parfaite, après avoir dominé l’émotion que lui avait fait éprouver la subite apparition de la Bette Jardinière, – Marmouset, disons-nous, se pencha sur son voisin de droite et lui dit :
– Je prie Votre Honneur de m’excuser, mais j’ai eu l’avantage de dîner avec Votre Honneur aujourd’hui même, à West-India Club.
– C’est vrai, répondit le gentleman qui salua Marmouset.
Les présentations se trouvant faites, l’Anglais n’avait plus aucune raison de ne point causer avec Marmouset, et la conversation s’établit aussitôt sur un pied de parfaite intimité.
– Voilà, dit Marmouset, un gentleman qui fait quelque sensation.
– En effet, répondit son interlocuteur.
– Sa femme est très belle…
– Oh ! certainement. Mais ce n’est pas pour sa femme qu’est la curiosité du moment.
– Ah !
– C’est pour lui… pour lui seul…
– Quel est donc ce personnage ?
– Le major Linton.
À ce nom, Marmouset tressaillit.
Le gentleman continua :
– Le major Linton arrive des Indes.
– En vérité !
– Où il a fait une fortune colossale, même pour l’Angleterre où, cependant, il y a des fortunes royales.
– Quelle fortune a-t-il donc ?
– On ne sait pas. Mais la maison Barley, une de nos premières maisons de banque, a à lui une trentaine de millions en comptes courants.
– Peste ! fit Marmouset.
– On prétend que le major a rapporté en Europe des tonnes de diamants et de perles.
– Mais comment a-t-il fait cette fortune ?
– En trafiquant de l’opium.
– Et le voici fixé à Londres ?
– Pour la saison, oui. Mais il passera, dit-on, l’hiver dans une résidence princière qu’il vient d’acheter dans le pays de Galles.
Marmouset commençait à voir poindre le doigt de Rocambole.
– Et sa femme, dit-il, vient-elle de l’Inde aussi ?
– Voilà ce qu’on ne sait pas.
– Vraiment ?
– Le major est arrivé avec elle ; mais on croit que c’est une Française.
– Il l’aurait donc épousée à Paris ?
– C’est probable.
Marmouset éprouva tout à coup, pendant qu’il causait, cette sensation singulière qu’on ressent quand un regard pèse sur vous.
Il leva la tête et vit la lorgnette de la Belle Jardinière obstinément, braquée sur lui.
– Elle me reconnaît, pensa-t-il.
Et il se mit à la regarder à son tour.
Il lui sembla alors qu’un sourire mystérieux et discret glissait sur les lèvres de la bohémienne.
– C’est trop d’audace ! pensa-t-il.
Le major Linton paraissait tout entier au spectacle et s’occupait fort peu de sa compagne.
Celle-ci, en revanche, ne perdait pas Marmouset de vue.
Et Marmouset se posait alternativement ces deux questions sans pouvoir les résoudre.
– Est-elle avec le major Linton par ordre de Rocambole ?
– Ou bien a-t-elle pu échapper à Rocambole, et le hasard seul a-t-il tout fait ?
Il attendit la fin du spectacle, sortit un des premiers et alla se placer au bas du péristyle, pour voir sortir la Belle Jardinière.
Mais, en ce moment, une main s’appuya sur son épaule. Il se retourna :
– Le maître ! murmura-t-il.
En effet, Rocambole était devant lui.