XXII

HECTOR ÀDIANE

« Mon ange aimé,

« Voici le neuvième jour écoulé depuis ma condamnation. Si ma grâce n’arrive pas ce soir, je serai fusillé demain au point du jour.

« Courage ! Diane ; courage ! mon âme et ma vie… courage ! toi qui es ma femme devant Dieu !

« Écoute-moi, ma Diane adorée ; j’ai pardonné d’avance à mes ennemis ; je suis prêt à mourir ; mais je ne veux pas mourir fusillé ; je ne m’avoue point déserteur.

« J’attends une dernière lettre de toi, une lettre dans laquelle tu me diras adieu pour toujours, si ton père est revenu, si ma grâce est refusée. »

Cette lettre, qu’accompagnaient les plus tendres paroles, les serments d’amour les plus solennels, arriva à Madame la baronne Rupert vers neuf heures du matin.

La baronne était en proie à de terribles angoisses. Ses deux cousins étaient auprès d’elle. M. de Morfontaine et M. de Passe-Croix avaient joué leur rôle en conscience ; jamais on n’avait vu parents plus affectueux, plus tendres, plus affligés. Vingt fois par jour, M. de Morfontaine montait à cheval et poussait une reconnaissance sur la route de Paris, espérant voir arriver la chaise de poste de son oncle.

Matin et soir, M. de Passe-Croix s’en allait à la prison.

Le commandant de place s’était relâché de sa sévérité au bout de trois ou quatre jours.

Il n’avait point permis que Diane pût voir Hector ; mais il avait en revanche autorisé M. de Passe-Croix à visiter le prisonnier.

Il est vrai que le baron avait engagé sa parole d’honneur de ne point chercher à faire évader M. de Main-Hardye.

Ce fut M. de Passe-Croix qui se chargea de la réponse de Diane.

Diane écrivait à Hector :

« Moi non plus, cher époux du ciel, je ne veux pas que tu sois fusillé, et ta Diane sera forte et te permettra de mourir à ta guise, si le roi ne t’a pas fait grâce.

« Eh bien ! cette grâce, j’y crois, je l’attends, je sens qu’elle vient.

« Mes cousins sont là et, comme moi, ils pensent que mon père et La Morlière arriveront aujourd’hui.

« Hector, mon bien-aimé, il est toujours temps de mourir, et une minute suffit.

« Attends cette nuit encore… espère… crois en moi… crois en Dieu ! Dieu ne peut pas vouloir nous séparer ! »

*

* *

M. le baron de Passe-Croix se chargea donc de cette lettre et se rendit à la prison.

Hector était assis sur son lit, les jambes croisées, calme et triste.

En voyant entrer M. de Passe-Croix, il se leva vivement.

– Eh bien ! dit-il, et Diane ?

– Diane ne sait rien, répliqua tristement le baron. M. de Passe-Croix s’était fait un visage consterné. Il prit la lettre de Diane et la tendit à Hector. Celui-ci s’en empara et la lut.

– Eh bien ! fit-il, que voulez-vous dire ?

– Je veux dire que Diane ne sait rien et qu’elle attend encore votre grâce.

Hector pâlit.

– Je devine, dit-il, ma grâce a été refusée.

– Hélas !

Le baron courba la tête.

– Et vous craignez d’en donner à Diane la fatale nouvelle ?

– J’ai peur de la tuer.

Hector baissa les yeux. Un moment deux grosses larmes roulèrent le long de ses joues. Puis il prit la lettre de Diane et la tendit à Hector.

– Pauvre Diane !… murmura-t-il.

Puis il prit la main du baron.

– Voyons, mon ami, lui dit-il, vous savez bien que je ne crains pas la mort, moi. Dites-moi tout…

Le baron tira de sa poche une seconde lettre.

Celle-là portait le timbre de Paris et était de la main de M. de la Morlière.

Le vicomte écrivait au baron :

« Mon ami,

« Notre pauvre oncle est fou de douleur, et je crains pour sa vie. Vainement il s’est traîné aux genoux du roi. Le roi s’est montré inflexible.

« Je l’ai ramené à l’hôtel en proie à une fièvre ardente.

« Le médecin que j’ai fait appeler m’a défendu de le laisser repartir pour Rochefort. Il y va de sa vie.

« Et notre chère Diane ?

« J’ai cru, moi aussi, que j’allais perdre la tête.

« Si Hector est fusillé, Diane en mourra.

« Il faut sauver Diane, mon ami. Il faut trouver un moyen de lui faire quitter Rochefort.

« Voici ce que j’ai imaginé :

« Je vais t’écrire demain.

« Dans cette lettre, je te dirai que le roi n’a pas fait grâce, mais qu’il a ordonné un sursis d’un mois à l’exécution.

« Pendant ce sursis, le roi réfléchira. Il verra.

« Alors tu persuaderas à Diane que si elle allait à Paris, le roi ne résisterait plus à ses larmes, et Diane partira avec toi, et elle n’entendra point, à l’heure fatale, siffler les balles qui tueront Hector. »

M. de Main-Hardye prit connaissance de cette lettre et dit froidement :

– Vous avez raison, mon ami ; il faut que Diane quitte Rochefort. Quand arrivera la seconde lettre du vicomte ?

– Je l’attends aujourd’hui à midi… C’est l’heure du courrier.

– Eh bien ! adieu ! En ce cas, emmenez Diane… Il le faut !

M. de Main-Hardye écrivit à Diane une longue lettre dans laquelle il lui promettait d’attendre sa grâce avec courage et confiance.

Et le baron l’embrassa et lui dit avec émotion :

– Adieu ! mon ami. Je vous jure que je veillerai sur Diane toute ma vie.

– Veillez aussi sur mon enfant ; car elle sera bientôt mère, ajouta le malheureux comte de Main-Hardye, qui serra une dernière fois la main de M. de Passe-Croix, et ajouta :

– Maintenant, partez. Je ne veux pas m’attendrir outre mesure ; je veux mourir en souriant.

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