XXXI

Là finissait le manuscrit du domino.

Le baron Gontran de Neubourg le replia lentement et le remit dans sa poche.

Un moment de silence suivit cette lecture, et les quatre convives de la Maison-d’Or se regardèrent.

– Eh bien ! messieurs, dit enfin Gontran, que pensez-vous de cela ?

– Je pense, répondit lord Galwy, qu’il faut, avant tout, savoir quel rapport il peut exister entre les personnages de cette étrange histoire et la femme qui vous a remis ce manuscrit.

– Nous allons le savoir, messieurs.

Le baron sonna, un garçon vint.

– N’est-il venu personne pour nous ? demanda Gontran.

– Pardon, une dame.

– Comment est-elle ?

– Masquée et en domino.

– Pourquoi ne nous avez-vous point prévenus ?

– Cette dame a voulu attendre que ces messieurs sonnassent.

– Où est-elle ?

– Dans le salon voisin.

– Priez-la d’entrer.

Le garçon sortit. Deux minutes s’écoulèrent, puis la porte se rouvrit et le domino entra. C’était bien le même qui avait abordé Gontran au foyer de l’Opéra et lui avait remis le manuscrit.

Àsa vue, les quatre gentilshommes se levèrent respectueusement.

Elle les salua d’un geste de reine et s’assit dans le fauteuil que le vicomte Arthur de Chenevières lui avança.

– Messieurs, leur dit-elle d’une voix harmonieuse et fraîche qui les fit tressaillir, vous avez bien voulu lire mon manuscrit ?

Tous quatre s’inclinèrent.

– Et vous trouvez, sans doute, qu’il y manque un dernier chapitre ?

Ils s’inclinèrent de nouveau.

– Je viens vous le raconter, dit-elle simplement.

– Madame, dit Gontran toujours debout et le chapeau à la main comme ses compagnons, nous sommes prêts à vous écouter.

Et tous la regardaient et devinaient sous le masque une beauté souveraine. Le domino reprit :

– Deux années après le dernier drame accompli au château de Bellombre, un jeune officier de l’armée d’Afrique, débarquant à Marseille, aperçut sur un champ de foire une baraque de saltimbanques.

Une pauvre petite fille, grelottant sous ses oripeaux de princesse indienne, dansait devant la foule pour n’être point battue le soir.

L’officier jeta un cri, courut à elle et la prit dans ses bras.

L’officier s’était jadis nommé Grain-de-Sel.

La petite fille était Danielle.

Danielle, que le misérable Ambroise n’avait pas eu le courage de tuer, et qu’il avait cédée, à Bordeaux, à l’un de ses confrères.

– Danielle, ajouta le domino, c’est moi…

Elle ôta son masque, et les quatre gentilshommes jetèrent un cri d’admiration, tant elle était belle…

Et, quand ils l’eurent contemplée longtemps, silencieux, recueillis, n’osant lui parler et comme si elle eût exercé sur eux une fascination étrange, elle ajouta d’une voix humble, presque suppliante :

– Messieurs, je viens vous demander justice au nom de mon père et de ma mère assassinés, me la refuserez-vous ?

– Mademoiselle, répliqua Gontran d’une voix émue, le serment que nous allons faire, mes amis et moi, sera ma réponse.

Il étendit alors la main, et comme si ces quatre hommes, riches, nobles, beaux et vaillants, n’eussent eu qu’une seule âme, une seule tête, une seule voix, Danielle entendit retentir ces paroles :

– L’association des Chevaliers du clair de lune est fondée.

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