Danielle était allée courir dans le parc, poussant son cerceau devant elle.
Àcette heure, les domestiques du château, pour éviter la chaleur, se réunissaient sous un grand marronnier plusieurs fois séculaire planté devant la grille du parc.
Les femmes dévidaient, filaient ou tricotaient ; les hommes jouaient aux boules.
Danielle, l’idole de tous, commença par se mêler à leurs jeux ; puis insensiblement, elle sortit du cercle et se prit à courir vers la grande futaie qui se trouvait au milieu du parc.
C’est là qu’ordinairement le joli chevreuil apprivoisé par Mathurin se tenait paresseusement couché au pied d’un chêne.
Quand il entendait venir l’enfant, il se levait, bondissait et venait gambader autour d’elle.
Danielle s’aventura donc sous la futaie, mais elle y avait fait quelques pas à peine qu’elle s’arrêta tout étonnée.
Un enfant de huit à dix ans était assis sur l’herbe et paraissait pleurer.
Cet enfant, Danielle le reconnut. C’était le petit saltimbanque qu’elle avait vu le matin à Bellefontaine.
Le voyant pleurer, elle courut à lui les bras ouverts.
– Qu’as-tu, lui dit-elle, et pourquoi es-tu ici ?
– Je me suis sauvé parce que mon maître me battait.
– Oh ! le méchant !…
– Et qu’il ne voulait pas me laisser jouer avec ma sœur.
– Eh bien ! dit Danielle, joue avec moi. Voilà mon cerceau.
Le petit saltimbanque poussa un cri de joie, s’empara de la baguette et chassa le cerceau après lequel il se mit à courir.
Et Danielle enchantée suivit l’enfant, mais tout à coup elle s’arrêta.
– Ne va pas par-là, dit-elle, pas par-là, c’est par-là qu’est la rivière.
Le petit saltimbanque ne répondit pas et continua à courir.
Alors, soit qu’elle voulût ravoir son cerceau, soit qu’elle fût entraînée par le plaisir, la petite fille suivit l’enfant et poursuivit sa course vers la rivière.
*
* *
La rivière qui passait au bout du parc, était étroite, mais profonde, rapide, garnie de berges glissantes semées çà et là de saules qui se penchaient sur l’eau, et de broussailles qui cachaient des abîmes souterrains.
Le général, qui connaissait le danger qu’il y avait pour un enfant de s’approcher trop près de la rivière, avait toujours défendu à Danielle de diriger ses promenades de ce côté du parc.
Or, il y avait près d’une heure que la petite fille s’était éloignée du cercle formé par les domestiques du château sous les marronniers.
Tout à coup, Mathurin s’écria :
– Où est donc la demoiselle ?
– Danielle ! Danielle ! appela la femme de chambre à qui la surveillance de l’enfant était spécialement confiée.
– Je l’ai vue là-bas tout à l’heure, du côté de la futaie… dit un pâtre. Sans doute qu’elle joue avec le chevreuil.
La femme de chambre courut vers la futaie, appelant toujours :
– Danielle ! Danielle !
Danielle ne répondit pas.
Mathurin, qui suivait la trace de l’enfant sur le gazon, exclama tout à coup :
– Mon Dieu ! la rivière !
Il se prit à courir et jeta un cri terrible.
Sur la rivière, en cet endroit profonde et calme, flottaient le chapeau de paille garni de bleuets et la ceinture de soie verte de l’enfant !…
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* *
On fit de vaines recherches pour retrouver le corps de Danielle, le courant l’avait sans doute entraîné au loin.
Trois mois après, le général mourut dans un état de complet idiotisme, et ses trois neveux se partagèrent fraternellement son héritage.