Pendant ce temps-là, Hermine rentrait chez elle et courait à l’appartement occupé par M. de Beaupréau.
Comme nous l’avons dit, M. de Beaupréau était devenu un petit vieux propret et charmant, de la meilleure humeur du monde, raisonnable en toutes choses, à moins qu’on ne lui parla ou qu’il ne vint à parler de Cerise, la jeune ouvrière morte d’amour pour lui.
Auquel cas, M. de Beaupréau devenait triste, mélancolique, pleurait comme un enfant et perdait complètement la tête.
Tous les matins, il se levait à neuf heures et s’en allait à pieds de la Madeleine au Marais, longeant les boulevards en gagnant la place Royale. Cette promenade le conduisait à l’heure du déjeuner de famille.
M. de Beaupréau était donc sorti, comme à l’ordinaire, lorsque Hermine rentra à l’hôtel.
Elle l’attendit avec anxiété, après avoir montré toutefois la lettre de Fernand à madame de Beaupréau.
La pauvre mère, comme le vicomte Andréa, comme M. de Kergaz, crut deviner une partie de la vérité ; seulement, elle ne comprit pas pourquoi le vicomte tenait à ce que sa fille interrogeât M. de Château-Mailly.
M. de Beaupréau rentra.
– Mon père, lui dit Hermine, Fernand n’est point revenu.
– Ah ! fit-il d’un air indifférent. Eh bien, il reviendra.
Cette réponse dans la bouche d’un homme qui, la veille, partageait l’affliction de sa famille, prouva aux deux femmes que, ce matin-là, il n’avait pas la tête bien solide.
Puis, tout à coup, il ajouta en riant de ce rire à demi hébété qui est un signe certain de folie :
– Je sais où il est.
– Vous le savez ? demanda Hermine avec vivacité.
– Oui, fit-il en clignant de l’œil.
– Mais dites donc, alors ! s’écria-t-elle ; mais parlez.
– Il est chez sa maîtresse, répondit lentement le fou. Il me l’a dit.
Et comme les deux femmes l’écoutaient avec stupeur, il ajouta :
– Mais le pauvre garçon s’abuse, elle ne mourra pas d’amour pour lui, elle. Ces choses-là n’arrivent qu’à moi.
Et il continua à rire, sans paraître remarquer la pâleur, l’émotion, la douleur qui se peignaient sur le visage des deux femmes.
M. de Beaupréau, du moins elles le crurent, avait un de ces rares accès de folie qui ne le prenaient qu’à de longs intervalles, mais qui duraient quelquefois plusieurs heures, car, après avoir ri aux éclats, il se mit tout à coup à pleurer, balbutiant le nom de Cerise et s’accusant de sa mort.
Hermine comprit qu’il ne fallait point compter sur lui ce jour-là pour qu’il allât voir M. de Château-Mailly.
Et déjà elle songeait à écrire un mot à la marquise Van-Hop, et à s’adresser à elle pour avoir quelques éclaircissements, lorsqu’un domestique, entrouvrant la porte, annonça :
– M. le comte de Château-Mailly.
C’était le hasard ou plutôt la Providence qui l’envoyait.
On se rappelle que le comte, au bal de la marquise Van-Hop, d’après les conseils du gentleman aux cheveux rouges, qui dissimulait si bien le redoutable chef des Valets-de-Cœur, s’était fait présenter à Hermine par M. de Beaupréau.
Il lui avait fait une cour respectueuse ; il avait demandé et obtenu la permission de se présenter à l’hôtel de la rue d’Isly, et la jeune femme, que son amour pour son mari absorbait tout entière, n’avait pas cru devoir refuser.
Hermine était trop pure pour se défier d’elle-même. C’est le tort de bien des femmes.
L’arrivée de M. de Château-Mailly n’avait donc rien que de fort naturel.
Il était deux heures, on était au vendredi, le jour où madame Rocher était chez elle l’après-midi ; M. de Château-Mailly ignorait sans doute ou devait ignorer les événements que nous venons de raconter, il usait de la permission qu’on lui avait accordée pour faire une visite.
Le comte était un fort beau et fort élégant cavalier ; ses manières distinguées, sa démarche, son sourire un peu fier trahissaient le grand seigneur.
Mais Hermine ne songeait qu’à son mari, et elle ne vit dans M. de Château-Mailly autre chose qu’un homme qui pouvait venir à son aide et sonder avec elle l’horrible mystère qui semblait envelopper la disparition et l’absence de son mari.