Madame Rocher rentra chez elle, en proie à cette douleur morne, sans éclat, qui laisse les yeux rouges et secs.
Sa mère ne la questionna point. Madame de Beaupréau avait compris qu’il est de ces maux de l’âme que les consolations irritent au lieu de les adoucir.
Hermine passa le reste de la journée seule, enfermée dans son boudoir, livrée aux plus amères réflexions sur son bonheur détruit. Muette, immobile auprès du berceau de son enfant, elle vit la nuit s’écouler, se souvenant que c’était également la nuit qu’il était revenu, et espérant qu’il reviendrait encore. Mais la nuit s’écoula, le jour vint, puis la matinée se passa. Fernand n’avait point reparu.
Hermine n’osait point interroger les domestiques ; elle n’osait s’ouvrir à sa mère, car M. de Château-Mailly lui avait recommandé expressément de ne se confier à personne. Elle avait foi en M. de Château-Mailly.
À partir de midi, la pauvre jeune femme compta les heures qui la séparaient encore de celle où elle reverrait le comte. À mesure que cette heure approchait, son cœur se prit à battre d’une émotion inconnue et si bizarre, que Fernand lui semblait étranger.
Au dernier moment, de même qu’elle avait voulu fuir de chez le comte la veille, elle hésita à y aller. Pourtant il le fallait bien, si elle voulait avoir des nouvelles de son mari. À cette dernière pensée elle n’hésita plus. Elle sortit de chez elle furtivement, à pied, monta dans le premier fiacre qu’elle rencontra et se fit conduire rue Laffitte.
Quatre heures sonnaient au moment où elle gravissait l’escalier du n° 41.
La veille, Hermine était venue chez le comte, désespérée, la mort au cœur, sans souci d’elle-même et de sa réputation : elle y revenait aujourd’hui avec un faible espoir, forte des promesses du comte ; et cependant, à cette heure, son cœur battait plus fort, et une voix disait qu’elle était perdue par avance. Elle sonna d’une main tremblante.
Un homme vint lui ouvrir. C’était le comte lui-même. Par un excès de délicatesse que la jeune femme devait apprécier, le comte avait renvoyé ses gens ; il ne voulait point infliger à Hermine le supplice d’avoir à rougir devant les laquais.
Il lui prit la main et la fit entrer.
– Venez, lui dit-il à voix basse. Je suis seul… personne ne vous a vue entrer, personne ne vous verra sortir.
Cette fois il la conduisit au salon et la fit asseoir près du feu, dans un grand fauteuil, s’asseyant lui-même à distance respectueuse.
Pour la femme qui aime, il n’est au monde qu’un seul homme. Hermine aimait Fernand. Donc elle avait à peine regardé M. de Château-Mailly. Eh bien ce jour-là, elle ne put se défendre d’un mouvement de curiosité ; elle lui fit subir ce rapide examen qui suffit à la femme pour juger un homme physiquement et presque moralement, et elle s’avoua que le comte était peut-être digne de l’amour d’une femme autant par la noblesse de son caractère que par sa beauté physique.
– Madame, dit le comte, je puis vous donner, sur la conduite et la situation de votre mari, les plus minutieux détails.
– Parlez, monsieur, murmura-t-elle, je suis prête à tout… j’ai déjà tant souffert, que j’aurai la force de souffrir encore.
– Vous êtes une noble femme, répondit-il, et Dieu vous tiendra compte de votre force d’âme… Mais ayez foi en l’avenir, madame, tout n’est point désespéré encore…
– Que dites-vous, monsieur ? interrogea-t-elle avec une émotion indicible… Croyez-vous qu’il puisse m’aimer encore ?
– Peut-être…
Le comte prononça ce mot avec l’accent du doute, et cet accent alla au cœur d’Hermine.
– Écoutez, reprit M. de Château-Mailly, et soyez forte… J’avais obtenu de cette abominable créature qu’elle quitterait Paris ; elle y avait consenti, et, avant-hier matin, en effet, elle montait en chaise de poste. Mais, que voulez-vous ! le hasard a de singulières et horribles trahisons. Au moment où elle traversait le boulevard à la hauteur de la Madeleine, Turquoise a rencontré M. Rocher faisant sa promenade du matin à cheval. Elle a passé sans lui faire signe d’adieu, sans paraître l’apercevoir, et elle a continue sa route, ordonnant à ses postillons de courir ventre à terre. Mais M. Rocher l’avait vue ; il s’est mis à sa poursuite et a couru après elle jusqu’à Étampes, où il est parvenu à la rejoindre. À Étampes il s’est jeté à ses pieds comme un fou, pleurant, se tordant les mains.
– Ah ! fit Hermine avec un mouvement de dégoût et d’horreur.
– Pauvre femme ! murmura le comte.
Puis il lui prit la main et la baisa comme la veille.
– Ils sont revenus à Paris, dit-il, il est chez elle ; mais elle m’a juré qu’elle ne le garderait pas plus longtemps…
– Vous l’avez donc vue ? demanda Hermine en tremblant.
– Oui, ce matin.
– Et… lui ?
Le comte hocha la tête.
– Vous pensez bien, dit-il, que c’eût été imprudent. Je pouvais, du coup, perdre l’influence presque despotique que le hasard et d’abominables révélations m’ont donnée sur cette femme.
– Ainsi… elle le… renverra ?
– Oui… ce soir même.
Hermine eux un mouvement de joie, et un éclair d’espoir brilla dans ses yeux.
Mais ce ne fut qu’un éclair. Elle baissa la tête, une larme roula sur sa joue, et elle soupira : – Il y retournera, dit-elle, puisqu’il l’aime.
C’était le cas ou jamais, pour M. de Château-Mailly, de tomber aux pieds de madame Rocher, et il ne faillit point à son rôle.
Il se mit à genoux.
– Madame, murmura-t-il de cette voix triste et navrée, qui avait, la veille, si fortement ému Hermine, que puis-je répondre à une pareille question ? sinon que votre mari serait le plus insensé des hommes s’il ne vous aimait.
Et comme elle pleurait silencieusement :
– Je ne sais pas, dit-il, mais il me semble que l’homme assez heureux, assez protégé du ciel pour être aimé d’une femme telle que vous, devrait passer sa vie à genoux, et ne demander à Dieu qu’une chose : prolonger indéfiniment cette vie pour qu’il pût vous en consacrer chaque heure et chaque minute.
Malgré ses douleurs et l’état de prostration dans lequel elle se trouvait, madame Fernand Rocher ne put s’empêcher de frissonner et de rougir en écoutant ces paroles, prononcées d’une voix troublée et tremblante, et elle retira vivement sa main, que le comte pressait dans les siennes.
M. de Château-Mailly comprit qu’il ne devait pas aller plus loin ce jour-là, sous peine de voir s’évanouir la confiance qu’elle avait mise en lui. Il se releva et poursuivit d’un ton plus calme :
– J’ai la conviction, madame, que, tôt ou tard, éclairé par l’infamie de cette femme, honteux de sa conduite, plein de remords, votre mari viendra s’agenouiller devant vous et vous demander son pardon.
– Ah ! s’écria-t-elle avec un mouvement de joie égoïste, si vous pouviez dire vrai, monsieur !
Le comte soupira ; ce soupir brisa le cœur d’Hermine ; elle comprit qu’elle avait fait mal au comte avec ce cri de joie.
– Pardonnez-moi, dit-elle en lui tendant la main, je suis folle…
– Pauvre femme ! répéta-t-il encore avec un accent impossible à noter. Maintenant, continua-t-il, songeons à vous, madame, et, au lieu de nous désoler, cherchons à vous défendre contre l’avenir. Il s’agit de votre enfant.
Ce mot fit tressaillir madame Rocher.
– Je sais que vous possédez une immense fortune, poursuivit le comte, une de ces fortunes qui résistent à tout, même à la dent meurtrière d’une courtisane. Cependant, madame, vous n’avez point le droit de vous laisser appauvrir… ne fût-ce que d’un dixième… il faut songer à votre fils.
Hermine regarda le comte. Sa figure respirait, en ce moment-là, une entière franchise. Le séducteur n’était plus dans son rôle, et, en parlant ainsi, il se laissait aller à la noblesse native de son caractère. D’ailleurs, sir Williams, trop prudent pour livrer son secret, n’avait laissé entrevoir au comte que l’amoureux éconduit, le baronet sir Arthur Collins méditant la défaite de la femme qui lui avait résisté, mais non l’homme altéré de vengeance qui se sert d’un vil instrument, tel qu’une courtisane, pour ruiner une famille tout entière.
Jamais homme ne s’était présenté à une femme sous un jour plus chevaleresque et plus flatteur. Cet homme qui l’aimait, loin de parler de son propre amour, cherchait, au contraire, à lui ramener son époux infidèle et la suppliait de songer à l’avenir de son fils.
M. de Château-Mailly venait, peut-être à son propre insu, de faire vibrer chez madame Rocher la fibre la plus sensible ; il lui avait parlé de son enfant. Aussi la pauvre Hermine ne put-elle réprimer un de ces élans de généreuse gratitude qui n’appartiennent qu’à la femme. Elle tendit spontanément la main à M. de Château-Mailly :
– Vous êtes un noble cœur, lui dit-elle.
– Je le crois, répondit-il, et je vais essayer de vous le prouver…
Il demeura pensif un moment, et reprit :
– Votre mari reviendra aujourd’hui même chez vous. Peut-être allez-vous le trouver en rentrant…
– Mon Dieu, fit-elle, s’il allait savoir…
– Il ne saura rien. Attendez-vous à le voir vous expliquer son absence par une foule de mensonges embarrassés ; feignez de le croire, soyez avec lui d’une grande douceur, ne le brusquez pas… montrez-vous résignée… Le temps est le meilleur des médecins de l’âme… il vous reviendra.
– Mais, dit Hermine d’une voix altérée, il aime cette femme !
– Hélas ! je le sais… cependant…
– Le comte s’arrêta, comme s’il avait voulu peser ses paroles et en mesurer toute la portée.
– Cependant, poursuivit-il, l’amour qui ne repose point sur l’estime ne saurait durer longtemps ; le jour où il reconnaîtra toute l’infamie de cette femme…
– Mais, interrompit vivement madame Rocher, qui lui montrera, qui lui fera toucher du doigt cette infamie ?
– Moi.
Ce seul mot fut articulé si froidement que madame Rocher ne douta point un seul instant de la conviction profonde de M. de Château-Mailly.
– Seulement, ajouta-t-il, pour arriver à ce résultat, il nous faut, à moi du temps, à vous du courage et de la résignation.
– J’en aurai, monsieur, j’en aurai pour mon enfant.
– Adieu, dit-il, ayez foi en moi… Je suis votre ami…
Il prononça ce dernier mot avec effort, comme s’il lui eût déchiré la gorge, et, une fois encore, Hermine tressaillit et se sentit troublée jusqu’au fond du cœur. Elle le devinait et le voyait, M. de Château-Mailly l’aimait.
– Vous reverrai-je bientôt ? demanda-t-il tout bas et en tremblant, tandis qu’il la reconduisait.
– Oui… balbutia-t-elle en rougissant… oui, s’il le faut…
Elle le vit pâlir :
– Oh ! pardonnez-moi, dit-elle, je suis égoïste, je ne pense qu’à moi… et à lui.
– Je n’ai rien à vous pardonner, madame ; si vous avez besoin de moi, si vous pensez que je ne puisse agir seul ou que vous désiriez savoir ce que j’aurai fait, eh bien, écrivez-moi un mot, prévenez-moi… et vous verrez ! Ne suis-je pas un peu votre frère ?
Il lui pressa la main, étouffa un soupir et la conduisit jusqu’au seuil de son appartement.
Madame Rocher rentra chez elle plus émue et plus troublée qu’elle ne l’était la veille, et cependant il lui avait affirmé qu’elle allait revoir son mari.
Pourquoi donc ce trouble et cette émotion auxquels sans doute Fernand était étranger ?
C’est que sir Williams était un profond observateur du cœur humain, un homme qui calculait l’avenir mathématiquement, en prenant pour point de départ la faiblesse de la femme et son désespoir. Hermine aimait son mari ; mais en ne songeant qu’à lui, en n’adorant que lui, elle n’avait pu, cependant, se défendre d’établir un parallèle entre lui et M. de Château-Mailly, entre cet homme à qui elle avait apporté une fortune princière, qu’elle n’avait cessé d’aimer un seul jour, une seule minute, pendant quatre années, à l’innocence de qui elle avait cru quand tous l’accusaient, et qui l’abandonnait lâchement pour une courtisane éhontée, pour une femme sans pudeur, à laquelle il sacrifiait par avance le bonheur de sa maison, le calme de son foyer, peut-être l’avenir de son fils ; et cet autre, qui l’aimait avec assez d’abnégation pour s’effacer complètement et ne songer qu’à elle, cet homme, devenu son mari, son conseil, son protecteur… qui ne demandait rien, qui souffrirait en silence s’il pouvait la voir heureuse.
Et quand une femme reconnaît à un homme une réelle supériorité morale, cet homme est bien près d’être aimé.
Hermine renvoya son fiacre à l’entrée de la rue d’Isly et gagna son hôtel à pied. Le valet de chambre de Fernand, qui se trouvait sur le seuil de la porte, lui dit : – Monsieur est rentré.
Hermine eut un horrible battement de cœur.
Ce n’était pas de la joie… c’était de la terreur.
Il lui semblait à elle, la femme chaste et pure, à elle qui n’avait risqué une démarche compromettante que pour l’amour de lui, que cet homme coupable, indigne désormais de son affection et de son amour, allait lui demander compte de sa conduite et lever sur elle le regard sévère d’un juge.
Il n’en fut rien.
Fernand était au salon, jouant avec son fils, lorsque Hermine y arriva. L’enfant se roulait sur le tapis, en riant. Fernand le contemplait avec cette joie sereine qui trahit l’orgueil de la paternité.
Hermine, qui chancelait à chaque pas, était entrée sur la pointe du pied, pâle, émue, sans voix. La porte était entrouverte, le tapis épais. Fernand tournait le dos, il n’entendit point le pas de sa jeune femme. Hermine s’était arrêtée sur le seuil.
Ce père jouant avec son jeune fils, ce père prodigue revenu au foyer de la famille.
N’était-ce point le repentir personnifié ?
N’était-ce point l’espoir de l’avenir ?
N’était-ce pas le retour du bonheur ?
Elle le crut un moment et, demeurant immobile, elle attendit que Fernand se retournât.
Il se retourna en effet peu après.
– Ah ! dit-il avec surprise, vous voilà ?
Il était souriant et calme. Hermine crut avoir fait un rêve.
– Vous voilà, chère amie ? reprit-il.
Et il fit un pas vers elle.
Hermine jeta un cri de joie, oublia toutes ses tortures en une seconde et se jeta dans ses bras.
– Mon Dieu ! dit Fernand avec calme, qu’avez-vous donc, chère amie ?
– Ah ! je te revois enfin ! murmura-t-elle toute frémissante de bonheur.
Mais Fernand Rocher ne se départit point de son calme :
– Parbleu ! dit-il en souriant, avez-vous donc cru, ma chère amie, que j’allais disparaître de la surface du globe ?
Cette réponse frappa madame Rocher de stupeur. Elle ne trouva pas un mot à répondre et regarda son mari.
Fernand poursuivit :
– Il est vrai que je me suis absenté sans vous prévenir, chère amie, et j’ai eu tort en cela…
Il s’arrêta, un sourire épanouit ses lèvres :
– Mais, acheva-t-il, cela ne m’arrivera plus, je vous le promets.
Madame Rocher se trompa au sens de ces paroles. Elle crut que son mari repentant voulait se soustraire de trop pénibles aveux et se bornait à implorer son indulgence.
– Vrai ? fit-elle avec la joie naïve d’un enfant.
– Sans doute, répondit-il, car vous avez dû être un peu en peine de moi…
Il prononça ces mots froidement, si froidement même, que sa femme éprouva une réaction violente, semblable à celle qui glace tout à coup le sourire sur les lèvres et arrête les élans du cœur comme un ressort qui se brise suspend le mouvement d’une montre.
– En effet, continua-t-il, voici deux escapades pour une… depuis dix jours. Je me suis battu comme un jeune homme qui ne songe qu’à lui et non à ce qu’il peut laisser derrière lui. Et avant-hier je suis parti comme un homme qui reviendra déjeuner, et j’ai fait trente lieues.
Il parlait d’un ton si dégagé, que sa femme l’écoutait avec une sorte de douloureuse stupeur.
– Ah ! dit-elle enfin, vous avez fait trente lieues ?
– Oui… Oh ! une imprudence. Et il ajouta en riant : Les suites d’un pari…
Madame Rocher le regarda et tressaillit profondément. Il était évident que Fernand mentait.
Ah ! s’il avait balbutié, s’il avait essayé de déguiser la vérité avec ce naïf embarras et cette gaucherie d’un homme qui n’y est point habitué et qui s’y voit contraint par la nécessité la plus impérieuse… Mais il mentait froidement, effrontément, comme un laquais ou la soubrette d’une comédienne qui a sa leçon faite… Il mentait avec tout l’aplomb de Turquoise elle-même, qui semblait en ce moment lui souffler une à une chacune de ses paroles.
– Oui, ma chère, un pari… un pari bête et qui a failli coûter la vie à cette pauvre Sarah.
– Ah ! fit Hermine distraite.
– Figurez-vous que j’ai rencontré le vicomte d’A…, vous savez ? une connaissance de la Marche et de Chantilly. Le vicomte montait un cheval anglais qui a couru à Epsom et à Newmarket. Moi, je montais Sarah. Nous nous sommes rencontrés rue Royale. Le vicomte a prétendu que Sarah allait moins vite que son cheval ; moi j’ai soutenu le contraire : de là un pari de vingt-cinq louis. Nous avons pris Étampes pour but et nous sommes partis. Je suis arrivé le premier à Étampes et j’ai failli crever Sarah. Il y a mieux, cette course à franc étrier m’avait tellement brisé que j’ai été forcé de dormir trente heures. J’étais littéralement moulu. Voilà le secret de mon escapade. Que vous en semble ?
– Mais… dit Hermine avec un calme subit qu’elle semblait puiser au fond de sa douleur.
– En effet, ma chère, mais je me repens un peu cependant, car vous auriez pu être en peine de moi.
– Non, dit sèchement madame Rocher, n’avais-je pas de vos nouvelles par l’homme qui a ramené Sarah ?
– Ah ! dit Fernand, qui se troubla un peu, vous l’avez vu ?
– Oui.
– Et il vous a dit…
– Que vous lui aviez confié votre cheval à Étampes.
– Et… rien de plus ?
– Rien de plus.
Hermine avait fait un héroïque effort pour mentir. Mais l’atroce sang-froid de son mari la rendait forte.
Fernand, lui, avait respiré.
– N’importe ! reprit-il, cela est très sot de ma part. J’aurais dû vous prévenir. Ou plutôt, tenez, faisons une chose, ma chère, ce sera plus simple… Convenons entre nous que vous me passerez d’avance ces folies d’hippomane, et ne vous alarmerez pas quand je rentrerai tard… ou même… Il hésita un moment.
– Eh bien ? demanda Hermine.
– Ou même pas du tout, dit-il d’un ton dégagé.
– Comme vous voudrez, répondit madame Rocher, dans le cœur de laquelle quelque chose venait de se briser tout à coup, et dont la voix eut le timbre sec et régulier d’une horloge… comme vous voudrez…
Hermine aimait encore son mari, alors ; mais, hélas !… elle ne l’estimait plus ! Fernand lui avait menti, il s’apprêtait à lui mentir encore.
Or, le jour où l’homme ment à la femme qu’il aime, l’amour de cette femme, si dévoué, si immense qu’il soit, commence à se briser.
Fernand ne regardait plus sa femme, et songeait à Turquoise.