LXXXIV

L’autre personnage qui épiait comme sir Williams, mais sur un autre point, les résultats de l’affaire Van-Hop, était le vicomte de Cambolh.

Il était sorti de chez Daï-Natha en lui disant :

– Je reviendrai dans une heure.

Le brillant vicomte suédois alla faire un tour à son club, et reprit vers neuf heures le chemin de l’avenue de Lord-Byron, se doutant peu, en vérité, qu’à cette heure Daï-Natha expirait, et que, maîtres de l’hôtel, le marquis, Baccarat et le comte Artoff y établissaient tout exprès pour lui une prison sans issue.

Il sonna ; la grille s’ouvrit comme de coutume. Un domestique l’introduisit.

On sait que l’hôtel avait deux entrées et deux escaliers : d’un côté, on retrouvait l’Inde tout entière ; de l’autre, les usages parisiens.

Ce fut par celui-là que Rocambole pénétra.

Il fit peu d’attention au domestique qui l’introduisait ; il traversa le salon en fredonnant, et frappa à la porte du boudoir, persuadé qu’il allait y trouver Daï-Natha en train de revenir à la vie, grâce à la vertu de la pierre bleue.

La porte s’ouvrit, Rocambole entra. Mais soudain il recula, se troubla, pâlit…

Il venait d’apercevoir Daï-Natha immobile et morte sur le seuil ; en face de lui la marquise ; aux deux côtés de la porte, qui se referma sur lui, le comte Artoff et le marquis, le pistolet au poing. À deux pas, Baccarat était assise, calme et muette.

Rocambole jeta un cri, comprit que tout était perdu, et qu’il était pris…

– En voilà un ! murmura Baccarat avec l’accent du triomphe.

– Monsieur, dit le marquis, je pourrais vous tuer, je préfère vous laisser en liberté de vous défendre. Descendons au jardin… Nous avons des armes.

Mais avant que Rocambole, frappé de stupeur, eût répondu ; avant qu’aucun des témoins de cette scène eût pu s’attendre à un pareil événement, une porte vola en éclats au fond du boudoir, et livra passage à un nouveau personnage. Cette porte était celle qui conduisait à l’escalier secret, par où le marquis était descendu quelques jours auparavant.

Celui qui venait d’enfoncer cette porte, et qui s’élançait au milieu du boudoir, plus rapide que l’éclair, plus terrible que l’ouragan, ne fit qu’un bond vers Rocambole, et lui planta un poignard dans la poitrine.

– Ah ! bandit, s’écria-t-il, il y a un mois que je te suis pas à pas et dans l’ombre, un mois que je te surveille, un mois que je t’épie… Cette fois, tu ne m’échapperas pas, et les Valets-de-Cœur n’auront plus de chef.

Or, cet homme qui venait de frapper Rocambole et de clouer à jamais dans sa gorge le nom que Baccarat espérait lui arracher, c’était non point sir Williams, non point sir Arthur Collins, mais le pieux vicomte Andréa, le frère dévoué d’Armand de Kergaz, le saint homme qui s’était imposé la mission d’exterminer les Valets-de-Cœur.

* *

*

Désormais M. le vicomte Andréa était, aux yeux du marquis Van-Hop, aux yeux de Fernand Rocher, de Léon, de Cerise, d’Armand, un noble cœur touché par le repentir, un homme qui ne pouvait avoir rien de commun avec ce chef mystérieux, inconnu, dont le nom était une énigme et qui avait fondé la redoutable association…

Et Baccarat, foudroyée par tant d’audace, comprit que cet homme, que seule elle devinait, savait triompher au sein même de la défaite, et elle sentit qu’une fois encore le bien était vaincu par le mal.

Mais Baccarat avait foi en Dieu.

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