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Polyte devina les réflexions de la petite blanchisseuse et se prit à sourire :

– Ma bonne amie, lui dit-il, j’ai toute ma raison et je vais vous le prouver.

– Ah ! dit-elle, le regardant toujours avec une vague inquiétude.

Alors, Polyte lui raconta ce qui s’était passé dans la journée, et comment il avait sauvé miraculeusement la pauvre Irlandaise d’une mort certaine.

Puis il ajouta :

– Si vous doutez encore, venez chez nous et vous la verrez, ma mère est auprès d’elle.

– Je vous crois, dit Pauline.

Puis, la jeune fille eut un mouvement de dépit.

– Alors, dit-elle, c’était pour observer Chapparot que vous veniez dans ce passage ?

– Et un peu pour vous aussi, dit galamment Polyte.

– Oh ! la couleur !

– Vrai ! dit Polyte, et si vous voulez être ma petite femme, je vous aimerai bien, et de fainéant que j’étais, je deviendrai travailleur.

– Nous verrons cela, dit Pauline en rougissant un peu.

– Mais, poursuivit Polyte, pour le moment, songeons à ce pauvre petit, qui est enfermé dans une cave.

– Vous voulez le délivrer ? dit Pauline avec un accent d’effroi.

– Sans doute.

– Mais comment ?

Pauline joignit les mains :

– Vous êtes fou, dit-elle.

– Fou ! pourquoi donc ?

– Vous voulez donc que Chapparot vous assassine pour de bon !

– Je n’ai pas peur de lui en ce moment.

– Ah !

– Il ne reviendra pas chez lui cette nuit.

– Qu’en savez-vous ?

– Il croit m’avoir tué.

– Eh bien ?

– Et les gens qui ont commis un crime, surtout quand ce sont des brutes comme Chapparot, ne rentrent pas coucher dans leur lit.

– Où voulez-vous donc qu’il aille ?

– Il passera la nuit à boire.

– Vous croyez ?

Et Pauline tremblait toujours à la seule pensée de s’introduire dans la maison où le terrible charbonnier avait sa boutique.

Mais Polyte lui dit :

– Au reste, puisque vous avez peur, je n’ai nul besoin que vous veniez avec moi ; seulement, vous pouvez me renseigner sur une chose.

– Laquelle ?

– Pensez-vous que les locataires de la maison soient rentrés ?

– Ils sont rentrés et couchés. Ce sont des ouvriers qui se lèvent de grand matin et se mettent au lit de bonne heure.

– Il n’y a pas concierge dans la maison ?

– Non.

– Alors chacun a sa clef ?

– Non, il y a un loquet à la porte comme ici.

– Je m’en doutais, fit Polyte, mais je voulais m’en assurer.

– Mais, dit Pauline, quand bien même vous entreriez dans la maison, comment feriez-vous pour pénétrer dans la boutique.

– C’est le plus simple, dit Polyte. Quand le charbonnier est parti, je l’ai vu mettre la clef de la porte de l’allée sous une planche qui lui sert de paillasson.

– C’est vrai, dit Pauline, je l’ai vu souvent faire la même chose.

– Eh bien ! reprit Polyte, adieu, mademoiselle, merci de vos bons soins, et permettez-moi de revenir vous voir demain pour vous remercier.

Et Polyte, encore faible, encore chancelant, voulut faire un pas vers la porte.

Mais Pauline lui passa gravement ses bras autour du cou.

– Vous êtes fou, dit-elle, si vous avez pensé que je vous laisserais aller tout seul.

– Comment ! vous viendriez avec moi ?

– Mais certainement.

– Vous avez bien peur de Chapparot pourtant !

– Pour vous, oui ; mais pour moi, non. Et puis, s’il vous arrive malheur, il m’arrivera malheur aussi. Allons-y donc gaiement.

– Une vraie petite femme ! s’écria Polyte enthousiasmé.

Et il embrassa Pauline, et tous deux sortirent.

Le sang qu’il avait perdu avait singulièrement affaibli Polyte.

Il marchait un peu comme un homme ivre ; mais Pauline le soutenait, et ils traversèrent ainsi l’esplanade.

À l’entrée du passage, Polyte s’arrêta et regarda autour de lui. La rue des Amandiers était déserte et le quartier silencieux.

Cependant, le jeune homme éprouva à son tour un petit mouvement d’hésitation.

– Mademoiselle Pauline, dit-il, véritablement ce que j’ai à faire est si simple, que je n’ai pas besoin de vous. Vous devriez m’attendre ici.

– Ah ! mais non, dit-elle, je vais avec vous.

– Vous y tenez absolument ?

– Mais dame ! fit-elle ingénument, puisque je dois être votre petite femme !

– Vous êtes un amour, dit Polyte en l’embrassant. Allons !

Et ils se dirigèrent vers la maison de l’Auvergnat.

Comme l’avait dit Polyte, l’expédition était des plus simples.

Il chercha avec la main la petite plaque ronde dissimulée dans la porte et qui faisait mouvoir le loquet, et la porte s’ouvrit.

Le cœur de Pauline battait bien un peu, mais elle était avec lui et l’amour rend les femmes courageuses.

Polyte trouva sous la planche la clef de la porte de l’allée, et ils pénétrèrent facilement dans la boutique.

Le vrai Parisien a toujours des allumettes dans sa poche.

Polyte en avait par conséquent, et il en frotta une avec son ongle.

L’allumette jeta une lueur rapide et fugitive autour d’eux et leur permit d’apercevoir une chandelle sur un sac de charbon.

Polyte approcha l’allumette de la chandelle et se procura ainsi de la lumière.

Ce fut sans doute en ce moment que Chapparot ivre revint, aperçut une lumière, s’imagina que la justice faisait une descente chez lui et prit la fuite.

– Et si les locataires nous voient traverser la cour ? dit encore Pauline toute tremblante.

– Vous dites qu’ils sont couchés ?

– Je le crois.

– J’aimerais mieux aller sans lumière, dit Polyte ; mais ce n’est pas possible, car je ne connais pas assez bien les lieux et vous pourriez tomber dans la citerne.

La porte qui s’ouvrait de la boutique dans la cour était fermée en dedans par un simple verrou que Polyte força.

La cave demeurait ouverte, le charbonnier ayant seul la jouissance de la cour.

Polyte montra la planche à bascule qui recouvrait la citerne à Pauline, tout émue, puis il prit la clef qu’il avait vu Chapparot mettre sur la poutre, et ils descendirent, dans la seconde cave.

L’enfant gémissait toujours.

Au moment où la porte de sa prison s’ouvrit, il se retourna et essaya de se débarrasser de ses liens, en même temps qu’un cri d’effroi lui échappait.

Mais Pauline le prit dans ses bras en disant :

– Pauvre petit !

Et, au son de cette voix ferme et franche, l’enfant cessa de se plaindre, et, tandis que Polyte le débarrassait de ses liens, il regardait Pauline et semblait comprendre que le ciel lui envoyait des libérateurs.

Un quart d’heure après, Ralph était dans les bras de Jenny l’Irlandaise.

Mais alors Polyte, épuisé, se laissait tomber sur une chaise, fermait les yeux et s’évanouissait devant sa vieille mère éperdue…

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